FracK
20/09/2004, 17h02
PHIL READ :
THE « PRINCE OF SPEED »
Il est à coup sûr l’un des plus grands : son palmarès prestigieux, son style incomparable et son caractère intransigeant ont fait de Philip William Read l’une des personnalités les plus marquantes du monde de la course.
Au sein de ce qui est encore le « Continental Circus », depuis un certain Grand Prix de Yougoslavie en 1968, on ne l’appelle plus que « Read le Rebelle »… En cette fin d’été particulièrement chaud, Philip William Read, pilote officiel de l’écurie Yamaha, vient de refuser, au vu et au su de tout le monde, de se plier aux ordres et déclenche ainsi une violente polémique…
Mais l’histoire de Phil Read ne se résume pas à ce seul épisode. C’est d’abord celle d’un jeune garçon né en 1939 et qui s’achète, à l’âge de treize ans et pour la modique somme de trois livres et demie, une 250 Matchless à soupapes latérales datant de 1930. « Je crois l’avoir revendue avec profit pour environ 5 livres, écrira-t-il plus tard. Ce fut là ma première opération fructueuse en ce qui concerne l’aspect financier du motocyclisme ».
Cette Matchless, c’est sa propre mère va lui en révéler tous les secrets. Car celui qui va devenir l’un des plus grands champions de l’histoire a réellement de qui tenir. Ses parents n’ont-ils pas fait leur voyage de noce au guidon de deux Ariel « Red Hunters » flambant neuves ? Depuis sa plus tendre enfance, Philip William Read a sillonné les petites routes autour de Luton, sa ville natale, sur le tan-sad de papa ou sur celui de maman. Après quelques mois sans grand enthousiasme au collège technique de Luton – il envisage alors une carrière d’ingénieur -, Read junior décide de se consacrer sérieusement à la seule chose qui le passionne réellement : la compétition moto.
LA VRAIE COURSE
En 1957, à dix-sept ans, il achète une BSA Gold Star qu’il se propose de faire courir à Mallory Park. Il commence par passer de longues heures à démonter sur la machine tous les accessoires routiers qui n’ont rien à voir avec l’usage qu’il veut en faire. Ce n’est qu’au dernier moment qu’il se rend compte qu’il ne dispose d’aucun autre véhicule pour se rendre sur le circuit et remonte le tout… C’est donc à Mallory Park que Read effectue ses premiers tours de circuit avec, pour tout supporter, sa propre mère Doris venue l’assister en cet instant décisif. Malgré une « gamelle » impressionnante, il prendra la treizième place de cette épreuve modeste. On ne peut pas dire que ses exploits, à l’époque, défrayent les chroniques locales : sans moyens, ne disposant que d’une seule même moto pour courir et se déplacer, Philip William Read découvre en fait les dures réalités matérielles de la course.
Il comprend vite, notamment, l’importance de l’aspect technique et c’est en toute connaissance de cause qu’il casse sa tirelire pour investir dans une Norton 350 Manx d’occasion qu’il va piloter la première fois à l’occasion du « Manx Grand Prix ». Épreuve typiquement « British », cette course se dispute sur le même tracé que le célèbre « Tourist-Trophy » de l’île de Man. Elle a lieu généralement en septembre et elle est réservée aux pilotes britanniques. Le jeune Read apprend vite les innombrables courbes de ce tracé diabolique et termine troisième en 350 cm3. Au guidon de la même moto, comme on le faisait souvent à l’époque, il terminera dix-septième dans la catégorie 500. L’année suivante, et grâce à quelques primes de départ glanées ici ou là, il peut échanger sa vieille Manx contre un modèle flambant neuf et y ajouter même la version 500 cm3. Sa dernière tentative, toujours au « Manx Grand Prix », se soldera par une casse en 350 et une victoire en 500 à plus de 152 km/h de moyenne : le résultat est plus qu’encourageant, certes, mais ne lui ouvre pas encore les bras généreux des trop rares sponsors de l’époque.
Phil Read va donc commencer la saison 1961 avec la ferme intention de faire reconnaître ses talents par ceux qui sont à même de bien les lui rétribuer. Et quel meilleur théâtre, pour un pilote britannique, que l’authentique Tourist-Trophy ? Engagé dans les deux classes les plus prestigieuses, 350 et 500 cc, Read va chuter, heureusement sans dégâts, dans la catégorie 500. Mais, en 350, la chance est avec lui puisque ses deux grands rivaux, qui ne sont autres que Mike Hailwood et Gary Hocking, vont connaître des ennuis mécaniques : culbuteur pour Hailwood, soupape pour Hocking. Phil Read, dont la Norton préparée par Bill Lacey fonctionne ce jour-là comme un chrono suisse, remporte son premier TT. La petite île de Man est en train de devenir, pour lui, l’île aux trésors… Il est alors le premier Anglais à remporter l’épreuve sur une machine anglaise depuis 1952 et devient d’un seul coup l’homme dont on parle en Angleterre… Il s’adjuge, par la même occasion, la quatrième place au championnat du monde. Pendant l’hiver, toujours avec sa Norton personnelle, Phil part faire la saison en Afrique du Sud où il remportera six des neuf courses dont il prend le départ.
En 1961, toujours sur Norton, dans la catégorie 500, il ne peut pas grand-chose contre le redoutable Gary Hocking et la MV officielle. En 350 cc, il termine toutefois la saison à la troisième position ce qui fait de lui le meilleur privé britannique. Il ne lui manque plus, désormais, qu’une moto d’usine.
LA SCUDERIA DUKE… ET YAMAHA
En 1953, 1954 et 1955, au guidon des Gilera italiennes, Geoff Duke était devenu une sorte de mythe vivant en s’emparant trois fois de suite du titre mondial en 500 cm3. Fin 1962, lassé par la suprématie écrasante des MV Agusta, Geoff Duke arrive à convaincre le Commendatore Giuseppe Gilera : il faut, lui dit-il, ressortir du musée les quatre-cylindres Gilera retirées de la course depuis le retrait officiel de la marque en 1957 : il estime que, contre toute attente, elles sont encore capables de battre les MV. Il propose au « Commandatore » de lui louer les machines – il a trouvé des commanditaires – et ne demande que les mécaniciens de l’usine. Séduit par des essais préliminaires satisfaisants à Monza, Giuseppe Gilera accepte de créer, pour 1963, cette Scuderia Duke, avec Derek Minter et John Hartle comme pilotes. Les Gilera relancent ainsi le formidable duel que se sont livré, pendant des années, les deux usines italiennes.
Mais lorsque Derek Minter se retrouve sur la touche à cause d’un bras cassé, c’est à Phil Read que Geoff Duke propose les quatre-cylindres italiennes : il terminera troisième au TT, prendra la seconde place à Assen et à Spa, et, surtout, se familiarisera avec ces puissants multicylindres qui vont, de toute évidence, dominer la catégorie 500…
C’est à la fin de la saison que Read reçoit la plus belle des propositions que puisse attendre un pilote : l’usine Yamaha l’invite au Japon pour piloter la 250 officielle. « Je me sentais aussi important qu’un député, dit-il… Un escadron de dirigeants m’attendais à mon arrivée, et nous discutions pendant des heures ». Il découvre aussi les formidables accélérations de ces moteurs deux-temps Yamaha qu’il ne connaît pas. Troisième de l’épreuve derrière Redman et son coéquipier japonais chez Yamaha, Fumio Ito, il s’attire la reconnaissance de l’usine qui lui offre un contrat pour la saison suivante. Phil Read devient ainsi le premier pilote officiel européen chez Yamaha.
Après une casse aux États-Unis et une troisième place en Espagne, Phil Read remporte avec la Yamaha sa première victoire sur le circuit de Charade à Clermont-Ferrand pour le Grand Prix de France : quatre autres victoires (Allemagne fédérale, Allemagne de l’Est, Irlande et Italie) vont lui permettre d’empocher son premier titre mondial : pour la première fois, dans la catégorie 250, un moteur deux temps est champion du monde ! « C’était mon heure, écrira-t-il plus tard. J’étais au sommet du monde. Toutes ces nuits sans sommeil, ces soucis, cette peur, ces milliers de kilomètres parcourus, ces courses interminables où nous avions bagarré ensemble, tout cela était terminé, j’avais gagné. Et, vraiment, cela en valait la peine… ».
En 1965, Read va sans problème reconduire son titre en 250. Il en profite, à l’occasion du T.T, pour prouver haut et fort le formidable éclectisme de son style qui force l’admiration générale : il remporte la catégorie 125, toujours au guidon d’une Yamaha officielle.
1966, par contre, va consacrer la réelle supériorité des Honda : depuis la fin de la saison 1965, Bill Ivy, « Little Bill » comme on le surnomme affectueusement sur les circuits, est venu renforcer les rangs du team officiel Yamaha. Malgré tout leur talent, les deux pilotes vont avoir fort à faire avec les Honda de Ralph Bryans et surtout de Luigi Taveri. Ils remportent cinq victoires à eux deux, mais ne pourront empêcher le Suisse d’être champion du monde en 125. Mike Hailwood et la six-cylindres Honda, en deux et demie, sont virtuellement intouchables.
En 1967, si Bill Ivy parvient à enlever le titre en 125, Phil Read ne peut empêcher « Mike the Bike » de remporter le titre en 250.
LE « REBELLE »
1968, qui marque le retrait des Honda officielles, sera pour les quatre-cylindres Yamaha un grand millésime : Bill Ivy et Phil Read, en 125 et en 250, vont s’y livrer un combat singulier que seul le Japon était en mesure d’arbitrer. Aux deux tiers de la saison, effectivement, les ordres arrivent de Hammamastu : Read sera champion du monde en 125, Ivy le sera en 250. Phil Read, qui soupçonne Yamaha de vouloir se retirer de la compétition officielle, attend Brno, alors qu’il a pratiquement empoché le titre des 125, pour prendre sa décision : « Nous étions sur la ligne de départ, attendant Bill sur la grille des 250. Il savait, et je savais, que s’il gagnait, il serait champion du monde en 250 pour la première fois. À une minute du départ, nous attendions le feu vert pour nous élancer. J’ai regardé dans la direction de Bill et je lui ai dit : « Bill, tu sais que, pour celle-là, il va falloir te battre ? » Il a compris la situation… Ils pouvaient me vider s’ils le voulaient, j’étais parti pour gagner, et j’ai gagné ! ».
Entre les deux hommes, c’est aussitôt la guerre. Livrés à eux-mêmes – les mécaniciens japonais sont retournés chez eux - Read et Ivy vont finir la saison à leurs frais, déchaînés, et tous deux décidés à tout pour faire obstacle à leur ex-coéquipier. Vainqueur en Finlande, Read prend un avantage certain. Mais en Irlande, victime d’une fuite d’eau, il doit s’arrêter définitivement et Ivy reprend la tête au classement provisoire. À la veille du dernier Grand Prix, en Italie, les deux hommes ne sont séparés que de deux points. En d’autres termes, le vainqueur de Monza sera champion du monde. C’est sur un circuit détrempé que devait se dérouler la dernière épreuve de l’année : Phil Read, malgré une chute en 125 quelques minutes plus tôt, va faire une course d’anthologie puisqu’il tournera presque aussi vite que la 500 MV d’Agostini. À la fin de cette saison, les deux hommes – cas unique dans les annales – se retrouvent à égalité de points et de places. C’est sont donc le total des temps qui va finalement attribuer le titre. Après 10 courses, 292 tours de circuit et plus de 2 600 kilomètres à l’extrême limite, Phil Read est sacré champion du monde pour 2 minutes, 5 secondes et 3 centièmes…
Les deux saisons suivantes, 1969 et 1970, vont être pour Read des années de transition. Et dans tous les domaines… Il divorce, liquide son entreprise de bateaux à Guernesey et ne s’inscrit dans une compétition que dans quelques courses grassement payées. Pour certains observateurs, la carrière de Phil Read est d’ores et déjà terminée…
UN « PRIVÉ » CHAMPION DU MONDE
C’est pendant l’hiver 1970-1971 que tombe une nouvelle qui allait faire couler beaucoup d’encre : Phil Read repart, tout seul, à la chasse au titre mondial ! Pour s’attaquer tout seul à une meute de Yamaha plus ou moins aidées par l’usine, Read veut se doter de moyens importants et engage Helmuth Fath, l’ex-champion du monde de side-car, pour préparer les moteurs de ses Yamaha privées. Ceux-ci, entre chaque course, seront envoyés au Japon pour y être reconditionnés avant le Grand Prix suivant. Phil Read, qui ne roule plus qu’en Rolls-royce et dispose sur le circuit d’un gigantesque camion à son nom, entoure ce « come-back » d’un maximum de publicité. Pour lui, ce retour se doit d’être un succès. Et contre toute attente, Phil Read va réussir l’impensable exploit : vainqueur en Allemagne de l’Ouest, en Angleterre et en Hollande, il parvient, au nez et à la barbe de l’usine Yamaha qui lui en veut toujours autant, à imposer la moto privée préparée selon ses directives. La performance est reçue au Japon comme un authentique camouflet. Et c’est auréolé d’une gloire encore plus sulfureuse qu’il commence, toujours en tant que privé, la saison 1972.
À la veille du premier Grand Prix de la saison, les gens de chez MV lui font part de leurs intentions : ils cherchent un second pilote pour épauler Agostini dans la mise au point des nouveaux modèles. Aucun pilote au monde, pas même Read, ne peut résister à une pareille offre. À Clermont-Ferrand, première course de l’année, Phil Read fait un véritable « carton » en 250, avant de jouer un mauvais tour à son « ami » Agostini en 500. Inscrit avec sa deux et demie – qu’il engagera comme une 350 pour être admis à prendre le départ -, Phil Read, va se permettre de faire trois tours en tête, largement détaché devant la MV d’Ago. Pour ne pas risquer un éventuel contrôle technique, il simulera une panne pour s’arrêter, hilare et satisfait, sur le bord de la piste : il a montré, au guidon d’une simple 250, qu’il pouvait être en 500 devant l’invincible Ago.
C’est donc en toute logique, pour le Grand Prix d’Italie, que Phil Read se voit confier une des MV officielles avant de signer, pour la saison suivante, un contrat en bonne et due forme. Bien évidemment, l’arrivée de Read au sein du team ne fait pas que des heureux. Agostini sait le peu d’estime que lui porte Read et les rapports entre les deux hommes seront très vite pour le moins tendus. Après les deux victoires de Saarinen, en France et en Autriche, Read va gagner les deux « vrais » Grands Prix suivants : Allemagne et Hollande. Second derrière Ago en Belgique, en Tchécoslovaquie et en Finlande, il arrache deux autres victoires en Suède puis en Espagne. Pour sa première saison chez MV, Phil Read est champion du monde en 500. Au grand désespoir, bien entendu, d’un certain Giacomo Agostini.
En 1974, cette fois premier pilote chez MV, il va une fois encore sortir vainqueur du duel qui l’oppose à un Ago qui est passé depuis dans le team officiel Yamaha mais qui se montre souvent malchanceux. L’année suivante, en 1975, le duel Read-Ago va tourner à l’avantage de l’Italien qui reconquiert son titre en 500. Read se bat comme un diable tout au long de la saison au guidon d’une MV qui commence à « dater » sérieusement. L’usine italienne, très consciente de cet état de fait, décidait à la fin de la saison d’abandonner officiellement la compétition. Une page de l’histoire du deux-roues était définitivement tournée.
La carrière de Read, dès lors, prenait son dernier tournant. Il tentait, dans un premier temps, de refaire une saison en 500 cm3 au guidon d’une Suzuki privée : les casses successives le mettent dans une telle rage qu’à l’issue des essais du Grand Prix de Belgique, écœuré, il rentre définitivement chez lui.
Phil Read, d’abord et avant tout, a été un très grand pilote : ses innombrables victoires et ses sept titres mondiaux le prouvent. Mais le « Prince de la vitesse », c’était surtout un style d’un classicisme, d’une pureté et d’une précision qui ne pouvaient qu’enflammer les amoureux de ce sport. C’était aussi un caractère et une personnalité très forts qui ne pouvaient laisser indifférent. Même ses plus grands ennemis – qui ne manquaient pas réellement - n’ont jamais pu remettre en question les points essentiels qui ont forgé la « légende Phil Read » : le talent, l’individualisme et le courage.
Palmarès de Phil Read :
Champion du monde 1964 (250 cc), 1965 (250 cc), 1968 (250 cc et 125 cc), 1971 (250 cc), 1973 (500 cc)et 1974 (500 cc).
THE « PRINCE OF SPEED »
Il est à coup sûr l’un des plus grands : son palmarès prestigieux, son style incomparable et son caractère intransigeant ont fait de Philip William Read l’une des personnalités les plus marquantes du monde de la course.
Au sein de ce qui est encore le « Continental Circus », depuis un certain Grand Prix de Yougoslavie en 1968, on ne l’appelle plus que « Read le Rebelle »… En cette fin d’été particulièrement chaud, Philip William Read, pilote officiel de l’écurie Yamaha, vient de refuser, au vu et au su de tout le monde, de se plier aux ordres et déclenche ainsi une violente polémique…
Mais l’histoire de Phil Read ne se résume pas à ce seul épisode. C’est d’abord celle d’un jeune garçon né en 1939 et qui s’achète, à l’âge de treize ans et pour la modique somme de trois livres et demie, une 250 Matchless à soupapes latérales datant de 1930. « Je crois l’avoir revendue avec profit pour environ 5 livres, écrira-t-il plus tard. Ce fut là ma première opération fructueuse en ce qui concerne l’aspect financier du motocyclisme ».
Cette Matchless, c’est sa propre mère va lui en révéler tous les secrets. Car celui qui va devenir l’un des plus grands champions de l’histoire a réellement de qui tenir. Ses parents n’ont-ils pas fait leur voyage de noce au guidon de deux Ariel « Red Hunters » flambant neuves ? Depuis sa plus tendre enfance, Philip William Read a sillonné les petites routes autour de Luton, sa ville natale, sur le tan-sad de papa ou sur celui de maman. Après quelques mois sans grand enthousiasme au collège technique de Luton – il envisage alors une carrière d’ingénieur -, Read junior décide de se consacrer sérieusement à la seule chose qui le passionne réellement : la compétition moto.
LA VRAIE COURSE
En 1957, à dix-sept ans, il achète une BSA Gold Star qu’il se propose de faire courir à Mallory Park. Il commence par passer de longues heures à démonter sur la machine tous les accessoires routiers qui n’ont rien à voir avec l’usage qu’il veut en faire. Ce n’est qu’au dernier moment qu’il se rend compte qu’il ne dispose d’aucun autre véhicule pour se rendre sur le circuit et remonte le tout… C’est donc à Mallory Park que Read effectue ses premiers tours de circuit avec, pour tout supporter, sa propre mère Doris venue l’assister en cet instant décisif. Malgré une « gamelle » impressionnante, il prendra la treizième place de cette épreuve modeste. On ne peut pas dire que ses exploits, à l’époque, défrayent les chroniques locales : sans moyens, ne disposant que d’une seule même moto pour courir et se déplacer, Philip William Read découvre en fait les dures réalités matérielles de la course.
Il comprend vite, notamment, l’importance de l’aspect technique et c’est en toute connaissance de cause qu’il casse sa tirelire pour investir dans une Norton 350 Manx d’occasion qu’il va piloter la première fois à l’occasion du « Manx Grand Prix ». Épreuve typiquement « British », cette course se dispute sur le même tracé que le célèbre « Tourist-Trophy » de l’île de Man. Elle a lieu généralement en septembre et elle est réservée aux pilotes britanniques. Le jeune Read apprend vite les innombrables courbes de ce tracé diabolique et termine troisième en 350 cm3. Au guidon de la même moto, comme on le faisait souvent à l’époque, il terminera dix-septième dans la catégorie 500. L’année suivante, et grâce à quelques primes de départ glanées ici ou là, il peut échanger sa vieille Manx contre un modèle flambant neuf et y ajouter même la version 500 cm3. Sa dernière tentative, toujours au « Manx Grand Prix », se soldera par une casse en 350 et une victoire en 500 à plus de 152 km/h de moyenne : le résultat est plus qu’encourageant, certes, mais ne lui ouvre pas encore les bras généreux des trop rares sponsors de l’époque.
Phil Read va donc commencer la saison 1961 avec la ferme intention de faire reconnaître ses talents par ceux qui sont à même de bien les lui rétribuer. Et quel meilleur théâtre, pour un pilote britannique, que l’authentique Tourist-Trophy ? Engagé dans les deux classes les plus prestigieuses, 350 et 500 cc, Read va chuter, heureusement sans dégâts, dans la catégorie 500. Mais, en 350, la chance est avec lui puisque ses deux grands rivaux, qui ne sont autres que Mike Hailwood et Gary Hocking, vont connaître des ennuis mécaniques : culbuteur pour Hailwood, soupape pour Hocking. Phil Read, dont la Norton préparée par Bill Lacey fonctionne ce jour-là comme un chrono suisse, remporte son premier TT. La petite île de Man est en train de devenir, pour lui, l’île aux trésors… Il est alors le premier Anglais à remporter l’épreuve sur une machine anglaise depuis 1952 et devient d’un seul coup l’homme dont on parle en Angleterre… Il s’adjuge, par la même occasion, la quatrième place au championnat du monde. Pendant l’hiver, toujours avec sa Norton personnelle, Phil part faire la saison en Afrique du Sud où il remportera six des neuf courses dont il prend le départ.
En 1961, toujours sur Norton, dans la catégorie 500, il ne peut pas grand-chose contre le redoutable Gary Hocking et la MV officielle. En 350 cc, il termine toutefois la saison à la troisième position ce qui fait de lui le meilleur privé britannique. Il ne lui manque plus, désormais, qu’une moto d’usine.
LA SCUDERIA DUKE… ET YAMAHA
En 1953, 1954 et 1955, au guidon des Gilera italiennes, Geoff Duke était devenu une sorte de mythe vivant en s’emparant trois fois de suite du titre mondial en 500 cm3. Fin 1962, lassé par la suprématie écrasante des MV Agusta, Geoff Duke arrive à convaincre le Commendatore Giuseppe Gilera : il faut, lui dit-il, ressortir du musée les quatre-cylindres Gilera retirées de la course depuis le retrait officiel de la marque en 1957 : il estime que, contre toute attente, elles sont encore capables de battre les MV. Il propose au « Commandatore » de lui louer les machines – il a trouvé des commanditaires – et ne demande que les mécaniciens de l’usine. Séduit par des essais préliminaires satisfaisants à Monza, Giuseppe Gilera accepte de créer, pour 1963, cette Scuderia Duke, avec Derek Minter et John Hartle comme pilotes. Les Gilera relancent ainsi le formidable duel que se sont livré, pendant des années, les deux usines italiennes.
Mais lorsque Derek Minter se retrouve sur la touche à cause d’un bras cassé, c’est à Phil Read que Geoff Duke propose les quatre-cylindres italiennes : il terminera troisième au TT, prendra la seconde place à Assen et à Spa, et, surtout, se familiarisera avec ces puissants multicylindres qui vont, de toute évidence, dominer la catégorie 500…
C’est à la fin de la saison que Read reçoit la plus belle des propositions que puisse attendre un pilote : l’usine Yamaha l’invite au Japon pour piloter la 250 officielle. « Je me sentais aussi important qu’un député, dit-il… Un escadron de dirigeants m’attendais à mon arrivée, et nous discutions pendant des heures ». Il découvre aussi les formidables accélérations de ces moteurs deux-temps Yamaha qu’il ne connaît pas. Troisième de l’épreuve derrière Redman et son coéquipier japonais chez Yamaha, Fumio Ito, il s’attire la reconnaissance de l’usine qui lui offre un contrat pour la saison suivante. Phil Read devient ainsi le premier pilote officiel européen chez Yamaha.
Après une casse aux États-Unis et une troisième place en Espagne, Phil Read remporte avec la Yamaha sa première victoire sur le circuit de Charade à Clermont-Ferrand pour le Grand Prix de France : quatre autres victoires (Allemagne fédérale, Allemagne de l’Est, Irlande et Italie) vont lui permettre d’empocher son premier titre mondial : pour la première fois, dans la catégorie 250, un moteur deux temps est champion du monde ! « C’était mon heure, écrira-t-il plus tard. J’étais au sommet du monde. Toutes ces nuits sans sommeil, ces soucis, cette peur, ces milliers de kilomètres parcourus, ces courses interminables où nous avions bagarré ensemble, tout cela était terminé, j’avais gagné. Et, vraiment, cela en valait la peine… ».
En 1965, Read va sans problème reconduire son titre en 250. Il en profite, à l’occasion du T.T, pour prouver haut et fort le formidable éclectisme de son style qui force l’admiration générale : il remporte la catégorie 125, toujours au guidon d’une Yamaha officielle.
1966, par contre, va consacrer la réelle supériorité des Honda : depuis la fin de la saison 1965, Bill Ivy, « Little Bill » comme on le surnomme affectueusement sur les circuits, est venu renforcer les rangs du team officiel Yamaha. Malgré tout leur talent, les deux pilotes vont avoir fort à faire avec les Honda de Ralph Bryans et surtout de Luigi Taveri. Ils remportent cinq victoires à eux deux, mais ne pourront empêcher le Suisse d’être champion du monde en 125. Mike Hailwood et la six-cylindres Honda, en deux et demie, sont virtuellement intouchables.
En 1967, si Bill Ivy parvient à enlever le titre en 125, Phil Read ne peut empêcher « Mike the Bike » de remporter le titre en 250.
LE « REBELLE »
1968, qui marque le retrait des Honda officielles, sera pour les quatre-cylindres Yamaha un grand millésime : Bill Ivy et Phil Read, en 125 et en 250, vont s’y livrer un combat singulier que seul le Japon était en mesure d’arbitrer. Aux deux tiers de la saison, effectivement, les ordres arrivent de Hammamastu : Read sera champion du monde en 125, Ivy le sera en 250. Phil Read, qui soupçonne Yamaha de vouloir se retirer de la compétition officielle, attend Brno, alors qu’il a pratiquement empoché le titre des 125, pour prendre sa décision : « Nous étions sur la ligne de départ, attendant Bill sur la grille des 250. Il savait, et je savais, que s’il gagnait, il serait champion du monde en 250 pour la première fois. À une minute du départ, nous attendions le feu vert pour nous élancer. J’ai regardé dans la direction de Bill et je lui ai dit : « Bill, tu sais que, pour celle-là, il va falloir te battre ? » Il a compris la situation… Ils pouvaient me vider s’ils le voulaient, j’étais parti pour gagner, et j’ai gagné ! ».
Entre les deux hommes, c’est aussitôt la guerre. Livrés à eux-mêmes – les mécaniciens japonais sont retournés chez eux - Read et Ivy vont finir la saison à leurs frais, déchaînés, et tous deux décidés à tout pour faire obstacle à leur ex-coéquipier. Vainqueur en Finlande, Read prend un avantage certain. Mais en Irlande, victime d’une fuite d’eau, il doit s’arrêter définitivement et Ivy reprend la tête au classement provisoire. À la veille du dernier Grand Prix, en Italie, les deux hommes ne sont séparés que de deux points. En d’autres termes, le vainqueur de Monza sera champion du monde. C’est sur un circuit détrempé que devait se dérouler la dernière épreuve de l’année : Phil Read, malgré une chute en 125 quelques minutes plus tôt, va faire une course d’anthologie puisqu’il tournera presque aussi vite que la 500 MV d’Agostini. À la fin de cette saison, les deux hommes – cas unique dans les annales – se retrouvent à égalité de points et de places. C’est sont donc le total des temps qui va finalement attribuer le titre. Après 10 courses, 292 tours de circuit et plus de 2 600 kilomètres à l’extrême limite, Phil Read est sacré champion du monde pour 2 minutes, 5 secondes et 3 centièmes…
Les deux saisons suivantes, 1969 et 1970, vont être pour Read des années de transition. Et dans tous les domaines… Il divorce, liquide son entreprise de bateaux à Guernesey et ne s’inscrit dans une compétition que dans quelques courses grassement payées. Pour certains observateurs, la carrière de Phil Read est d’ores et déjà terminée…
UN « PRIVÉ » CHAMPION DU MONDE
C’est pendant l’hiver 1970-1971 que tombe une nouvelle qui allait faire couler beaucoup d’encre : Phil Read repart, tout seul, à la chasse au titre mondial ! Pour s’attaquer tout seul à une meute de Yamaha plus ou moins aidées par l’usine, Read veut se doter de moyens importants et engage Helmuth Fath, l’ex-champion du monde de side-car, pour préparer les moteurs de ses Yamaha privées. Ceux-ci, entre chaque course, seront envoyés au Japon pour y être reconditionnés avant le Grand Prix suivant. Phil Read, qui ne roule plus qu’en Rolls-royce et dispose sur le circuit d’un gigantesque camion à son nom, entoure ce « come-back » d’un maximum de publicité. Pour lui, ce retour se doit d’être un succès. Et contre toute attente, Phil Read va réussir l’impensable exploit : vainqueur en Allemagne de l’Ouest, en Angleterre et en Hollande, il parvient, au nez et à la barbe de l’usine Yamaha qui lui en veut toujours autant, à imposer la moto privée préparée selon ses directives. La performance est reçue au Japon comme un authentique camouflet. Et c’est auréolé d’une gloire encore plus sulfureuse qu’il commence, toujours en tant que privé, la saison 1972.
À la veille du premier Grand Prix de la saison, les gens de chez MV lui font part de leurs intentions : ils cherchent un second pilote pour épauler Agostini dans la mise au point des nouveaux modèles. Aucun pilote au monde, pas même Read, ne peut résister à une pareille offre. À Clermont-Ferrand, première course de l’année, Phil Read fait un véritable « carton » en 250, avant de jouer un mauvais tour à son « ami » Agostini en 500. Inscrit avec sa deux et demie – qu’il engagera comme une 350 pour être admis à prendre le départ -, Phil Read, va se permettre de faire trois tours en tête, largement détaché devant la MV d’Ago. Pour ne pas risquer un éventuel contrôle technique, il simulera une panne pour s’arrêter, hilare et satisfait, sur le bord de la piste : il a montré, au guidon d’une simple 250, qu’il pouvait être en 500 devant l’invincible Ago.
C’est donc en toute logique, pour le Grand Prix d’Italie, que Phil Read se voit confier une des MV officielles avant de signer, pour la saison suivante, un contrat en bonne et due forme. Bien évidemment, l’arrivée de Read au sein du team ne fait pas que des heureux. Agostini sait le peu d’estime que lui porte Read et les rapports entre les deux hommes seront très vite pour le moins tendus. Après les deux victoires de Saarinen, en France et en Autriche, Read va gagner les deux « vrais » Grands Prix suivants : Allemagne et Hollande. Second derrière Ago en Belgique, en Tchécoslovaquie et en Finlande, il arrache deux autres victoires en Suède puis en Espagne. Pour sa première saison chez MV, Phil Read est champion du monde en 500. Au grand désespoir, bien entendu, d’un certain Giacomo Agostini.
En 1974, cette fois premier pilote chez MV, il va une fois encore sortir vainqueur du duel qui l’oppose à un Ago qui est passé depuis dans le team officiel Yamaha mais qui se montre souvent malchanceux. L’année suivante, en 1975, le duel Read-Ago va tourner à l’avantage de l’Italien qui reconquiert son titre en 500. Read se bat comme un diable tout au long de la saison au guidon d’une MV qui commence à « dater » sérieusement. L’usine italienne, très consciente de cet état de fait, décidait à la fin de la saison d’abandonner officiellement la compétition. Une page de l’histoire du deux-roues était définitivement tournée.
La carrière de Read, dès lors, prenait son dernier tournant. Il tentait, dans un premier temps, de refaire une saison en 500 cm3 au guidon d’une Suzuki privée : les casses successives le mettent dans une telle rage qu’à l’issue des essais du Grand Prix de Belgique, écœuré, il rentre définitivement chez lui.
Phil Read, d’abord et avant tout, a été un très grand pilote : ses innombrables victoires et ses sept titres mondiaux le prouvent. Mais le « Prince de la vitesse », c’était surtout un style d’un classicisme, d’une pureté et d’une précision qui ne pouvaient qu’enflammer les amoureux de ce sport. C’était aussi un caractère et une personnalité très forts qui ne pouvaient laisser indifférent. Même ses plus grands ennemis – qui ne manquaient pas réellement - n’ont jamais pu remettre en question les points essentiels qui ont forgé la « légende Phil Read » : le talent, l’individualisme et le courage.
Palmarès de Phil Read :
Champion du monde 1964 (250 cc), 1965 (250 cc), 1968 (250 cc et 125 cc), 1971 (250 cc), 1973 (500 cc)et 1974 (500 cc).