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Bulat Chagaev avait des liens d’affaires avec un escroc condamné
03. décembre 2011, 19h47 Dominique Botti en collaboration avec Anastasia Kirilenko et Vladimir Ivanidze | Le Matin Dimanche
Le nom de Bulat Chagaev est lié à une affaire d’escroquerie. Le cas jugé à Genève remonte à la fin des années 90. Le Tchétchène n’a pas été condamné. Mais ses relations d’affaires avec cet escroc international étaient étroites.
Sovamericantrade, la société russe de Bulat Chagaev, a eu des problèmes avec la justice de son pays. Elle a fait partie d’un dossier d’enquête pour vol et blanchiment d’argent. © Sébastien Féval
Le Grec Spyridon Aspiotis et le Tchétchène Bulat Chagaev. Ces deux patronymes sont liés dans un arrêt de la Cour correctionnelle de Genève en 1999. Le tribunal y juge un contrat de transport de pétrole qui a mal tourné, conclu entre les deux businessmen en 1994.
Spyridon Aspiotis est condamné à 30 mois de prison, et à 5 ans d’expulsion du territoire suisse, pour escroquerie et abus de confiance. Il n’avait pas remboursé un prêt de 12 millions de dollars (soit 18 milliards de roubles). Bulat Chagaev n’a pas été condamné. Mais sa société de l’époque, Sovamericantrade, est liée à cette affaire frauduleuse.
La lecture de cet arrêt du tribunal et des articles de presse ayant couvert le procès souligne bien les relations d’affaires entre les deux hommes. C’est Bulat Chagaev, directeur de Sovamericantrade, qui a proposé ce contrat à Spyridon Aspiotis, directeur de Saracen. Les deux hommes auraient logé à la même adresse à Genève. Lors du procès, le directeur de la société russe lésée, S. Melnikov, explique qu’il a cru les promesses de remboursement. Ses déclarations suggèrent qu’il confondait facilement Chagaev et Aspiotis, et Sovamericantrade et Saracen.
3 millions de tonnes de pétrole
Cette escroquerie commence au printemps 1994. La société de Bulat Chagaev, qui dit travailler en Suisse depuis 1990, doit acheminer 3 millions de tonnes de pétrole à l’étranger, mais elle n’a pas les moyens financiers pour l’acheminer à bon port. Sovamericantrade demande alors de l’aide à la société Saracen. Son directeur général, Spyridon Aspiotis, est aussi armateur et a un bureau à Londres qui s’occupe du pétrole. Il accepte le marché.
Le duo trouve de l’argent à Moscou, auprès de la société UTTA. Bulat Chagaev aurait participé à la négociation du prêt. Spyridon Aspiotis contracte le crédit de 12 millions de dollars en automne 1994. Au passage, il profite de la complicité d’un dirigeant de la Banque d’Etat de Russie. Cette opération transpire déjà l’illégalité. Car UTTA n’est pas habilitée à travailler avec l’étranger. A l’époque, c’est une société écran, entretenue par la Direction des convoyeurs de fonds de Moscou, qui s’occupe des transferts interbancaires.
Les conditions du prêt stipulaient que l’argent devait être remboursé si l’affaire ne se faisait pas. Ce qui arriva. L’or noir n’a jamais été livré. Mais les millions de dollars n’ont jamais été rendus. Valery Kachalin, directeur des Convoyeurs de fonds de Moscou, est embarrassé. UTTA n’avait pas le droit de prêter cet argent public. Début 1996, il demande quand même au ministre de la Justice, Valentin Kovalev, d’agir. Le 23 juin 1997, le parquet genevois lance un mandat d’arrêt contre Aspiotis. Il est arrêté trois jours plus tard.
Le magot disparaît en Russie
Où sont passés les 12 millions de dollars? Durant l’audience, l’accusation prétend que l’escroc en a dépensé le quart pour son compte personnel. Dans des biens de luxe: appartement, voiture, voyage. Le solde de 9 millions a été versé par UTTA à deux sociétés, Dors et Finiste. Ce versement avait été ordonné par Spyridon Aspiotis en 1994 pour permettre à Sovamericantrade d’acheminer le pétrole, écrit un journal russe.
Durant l’enquête, les policiers ont tenté de localiser les millions en Russie. Une demande de commission rogatoire est lancée le 29 septembre 1997. Les policiers genevois visitent trois banques locales: IRS, Alfa-Bank et Yugorski. Des locaux de la société Dors ont été perquisitionnés. La délégation helvétique a même tenté de trouver un suspect tchétchène qui aurait pu récupérer l’argent, Arbi Chakhbiev. Qui est-il? La Cour de Moscou n’a pas pu répondre à cette question du «Matin». Au final, les investigations n’ont rien donné. Spyridon Aspiotis n’en a pas dit davantage devant la Cour genevoise. Il a demandé l’acquittement, selon le procès-verbal de l’audience. L’escroc grec a déclaré ne pas avoir négocié le contrat avec UTTA. Il a simplement donné son accord par téléphone. Par ailleurs, il affirme ne pas savoir qui a donné l’ordre de verser les millions du prêt à la société Dors. Et, dans tous les cas, il prétend qu’une part de cette somme lui était due même si la livraison du pétrole ne se faisait pas. Il a aussi souligné ses problèmes d’argent, en mentionnant la faillite d’une de ses sociétés en avril 1995.
Cette affaire judiciaire a aussi touché la Russie. La société Sovamericantrade de Bulat Chagaev est enregistrée en Tchétchénie, à la rue Pouchkine 6 de Grozny. De plus, les sommets de l’Etat à Moscou sont impliqués. Notamment le ministre de la Justice, Valentin Kovalev. Après avoir constaté l’escroquerie, la Direction des convoyeurs de fonds de Moscou lui demande de récupérer l’argent perdu. Le ministre s’engage à régler l’affaire rapidement grâce à ses connexions en Suisse. Mais de manière clandestine, non officielle: l’opération avec UTTA reste illégale. Les services de Kovalev se déplacent une fois en Suisse, aux frais des proches d’UTTA. En vain.
Démission du ministre Kovalev
L’impuissance de Valentin Kovalev agace Valery Kachalin. Le directeur des Convoyeurs de fonds de Moscou décide de régler le problème. D’une part, il trouve des relais à Genève qui permettront l’arrestation d’Aspiotis. D’autre part, le directeur profite des accusations de corruption portées en 1999 contre le ministre Kovalev pour le charger encore davantage devant la justice.
En 2001, Kovalev est condamné entre autres pour des dessous-de-table reçus lorsqu’il enquêtait sur les fonds perdus d’UTTA. Quatre ans auparavant, le personnage trouble avait dû démissionner de son fauteuil de ministre suite à la diffusion d’une vidéo le montrant nu en compagnie de deux prostituées dans un lupanar de Moscou. L’établissement est apprécié du groupe mafieux Solntshevskaya, dont le dirigeant à l’époque est Sergueï Mikhaïlov, bien connu à Genève.
Au final, l’affaire Aspiotis, c’est un condamné et 12 millions de dollars envolés. «Un petit cas d’escroquerie sur la place financière genevoise», selon les spécialistes. Bulat Chagaev n’a pas été condamné. Et ne semble pas avoir été entendu comme témoin lors du procès. Il n’empêche que cette affaire interpelle. Ce n’est pas la première fois que Sovamericantrade se retrouve devant la justice.
Une deuxième condamnation
En 2004, un tribunal russe a condamné Ali Ibragimov, un employé de la même société, à 2 ans de prison pour vol et blanchiment d’argent public pour un montant de l’ordre de 100 millions de dollars. L’affaire remonte aux années 1990. Durant l’enquête, Ali Ibragimov a dit qu’il agissait pour le compte du patron de Sovamericantrade, Bulat Chagaev. Ce dernier, qui n’a pas été condamné, a affirmé aux enquêteurs qu’il signait des pages blanches et les remettait à Ibragimov. «Je posais ma signature pour qu’il puisse commander des calendriers. Je ne croyais pas qu’il les utiliserait autrement», a déclaré Chagaev.
Cette nouvelle affaire d’Aspiotis interpelle d’autant plus que l’ex-directeur tchétchène de Sovamericantrade de l’époque est aujourd’hui propriétaire et président de Neuchâtel Xamax. Il n’a toujours pas dévoilé l’origine de sa fortune et peine à honorer les factures du club. De plus, il a été inculpé de faux dans les titres pour le compte de Xamax.
Quel était le lien d’affaires entre Bulat Chagaev et Spyridon Aspiotis? Travaillent-ils toujours ensemble? Comment le magnat tchétchène a-t-il vécu le procès? Le propriétaire de Xamax a-t-il fait fortune dans le pétrole? Pourquoi la société Sovamericantrade n’existe-t-elle plus aujourd’hui? Comment a-t-on pu céder un club aussi facilement à un homme lié à de telles affaires? Difficile d’y répondre. Douze ans après le jugement de Genève, la lumière sur cette affaire est difficile à faire. Les protagonistes sont injoignables ou leur mémoire fait défaut.
L’escroc grec est introuvable
Le condamné grec reste introuvable en Suisse, en Grèce et aux Etats-Unis. Il n’a laissé quasi aucune trace écrite ou visuelle sur Internet ou dans les registres du commerce. Les autres acteurs, quant à eux, peinent à réveiller leurs souvenirs sur le rôle joué par Bulat Chagaev et Sovamericantrade dans le procès. Le procureur général en charge du dossier, Bernard Bertossa, se rappelle vaguement de ce cas de criminalité économique. Tout comme le juge d’instruction genevois Laurent Kaspar-Ansermet, qui a conduit la commission rogatoire en Russie. Même son de cloche du côté des avocats des deux parties, Mes Robert Assaël et Horace Gautier. Jacques Barillon, défenseur actuel de Bulat Chagaev, explique que son client ne fait aucune déclaration.
Un escroc à la carrure internationale
Portrait
Spyridon Aspiotis est né le 21 janvier 1949 en Grèce. Dans les années 1990, il semble être bien installé à Genève, même s’il n’y a pas de domicile connu, selon la justice. Il a des bureaux au numéro 54 du prestigieux quai Gustave-Ador, au bord du Léman. Cet armateur et négociant en pétrole y dirige de multiples sociétés inscrites dans des paradis fiscaux: l’île de Man, Panama.
L’homme d’affaires grec cultive ses relations d’affaires internationales. Une publication sur Internet mentionne ses contacts avec Ahmed Chalabi, selon le journaliste Aram Roston. Cet Irakien a participé à la chute de Saddam Hussein, pour le compte des Etats-Unis. En Suisse, il est plus connu pour être impliqué dans la faillite de la banque suisse Mebco en 1989.
Recherché en Grèce et aux Etats-Unis
Spyridon Aspiotis n’a pas connu que la justice suisse. Dès son arrestation à Genève en 1997, la Grèce et les Etats-Unis réclament son extradition. Le parquet du Pirée le piste depuis qu’il a lancé deux mandats d’arrêt pour des escroqueries commises entre 1989 et 1991 contre un établissement bancaire, causant un préjudice de 100 millions de drachmes. La justice hellénique veut aussi lui faire purger 26 ans de prison. Soit le total de 15 condamnations pour fraudes sur les faillites et les chèques.
Aux Etats-Unis, le gouvernement américain veut la peau d’Aspiotis. Ce dernier est impliqué dans la vente frauduleuse, en 1995, d’une trentaine de bateaux fantômes à l’administration maritime. Cette escroquerie porte sur 829 millions de dollars, selon la Tribune de Genève. Le 27 mai 1999, il écopera d’une année de prison. Trois ans plus tôt, il avait été condamné par une Cour civile à payer 550 000 dollars.