MOTOCYCLISME
Unis, ils seront plus forts
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La concurrence entre les GP et le Mondial superbike va bientôt disparaître.
Jean-Claude Schertenleib - le 04 septembre 2010, 21h48
Le Matin Dimanche
GP de San Marino
Une semaine après l'annonce de Ducati de se retirer officiellement du Mondial superbike, Suzuki imite la marque italienne. Les constructeurs ont enfin compris qu'il fallait mettre tous leurs oeufs dans le même panier
L'Italie est partagée. Pas plus, ni moins que d'habitude entre le Nord travailleur et le Sud dolce vita; ou entre Berlusconistes et représentants de l'opposition. Non, l'Italie partagée qui nous intéresse ici, c'est celle des deux championnats du monde des courses motocyclistes sur route, les Grands Prix avec leur histoire et leurs mythes vivants (Giacomo Agostini, jusqu'à la fin des années septante, Valentino Rossi depuis quinze ans) et le Mondial superbike, avec sa marque phare, Ducati, et bientôt son premier champion du monde italien de la catégorie, Max Biaggi.
Deux championnats différents pour une discipline sportive secondaire, c'est trop. On le dit depuis longtemps. Mais, s'appuyant sur des contrats qui garantissaient en théorie une différence importante entre les machines acceptées en GP et celles alignées en superbike, les deux promoteurs (italien, pour le superbike et espagnol, pour les GP) ont exacerbé cette concurrence, en allant jusqu'à empiéter dans le domaine de l'autre. Ainsi, les motos de superbike, qui doivent être dérivées de machines du marché (c'est le règlement qui l'exige), ont tellement évolué que le grand public a de la peine à s'y retrouver. La preuve avec l'Aprilia RSV4 que l'ancien, Max Biaggi, devrait amener au titre mondial cette année: «Un prototype, notre moto? Pas du tout», rigole-t-on du côté de Noale, où est fabriquée une petite série de motos de course... qui ont passé l'examen de l'homologation pour la route! Le tour était joué.
Des MotoGP à l'aspect sobre
Parallèlement, avec le remplacement dès 2002 de la classe 500 par une nouvelle catégorie nommée MotoGP, ouverte à ses débuts à des motos propulsées par des moteurs quatre temps 1000 cm3 (800, cette année et l'an prochain encore), les GP se sont eux approchés de l'aspect extérieur des motos de route, les constructeurs étant conscients de l'intérêt d'un marketing direct axé sur la ressemblance entre la machine que l'on voit triompher sur son petit écran le dimanche et celle que l'on utilise le lundi pour se rendre à son bureau. Des motos de série qui ressemblent trop à des prototypes et des prototypes qui se rapprochent des motos de série: l'explosion était inévitable. Et la crise économique a agi comme détonateur.
Ces dernières années, le marché de la moto a non seulement ralenti, il a régressé dans le monde. Corollaire, les constructeurs doivent peser avec toujours plus de rigueur leurs engagements promotionnels. Parallèlement, les sponsors traditionnels des sports mécaniques - à commencer par les cigarettiers - se sont peu à peu éloignés des circuits, pour se lancer dans des opérations de marketing plus directes. Les teams, dorénavant en manque de partenaires extérieurs, comptent donc toujours plus sur l'appui des marques... qui peuvent de moins en moins investir. C'est la vieille histoire du chat qui se mord la queue, et l'heure de prendre des décisions pour assainir le plateau.
Plus de motos au départ
Dès 2012, la classe MotoGP sera à nouveau ouverte à des motos de 1000 cm³. On y retrouvera des machines alignées directement par les marques, mais aussi des motos qui reprennent la philosophie de la classe Moto2 (et dont la Suter de fabrication suisse, présentée vendredi soir, est le premier exemple), soit des châssis proposés par des entreprises indépendantes, dans lesquels les équipes pourront installer le moteur qu'ils désirent. Le but? Baisser les coûts. Selon Eskil Suter, la facture devrait ainsi être divisée par quatre. Cet élargissement de la catégorie reine permettra aussi à des marques aujourd'hui absentes des GP, mais présentes en Mondial superbike, comme Aprilia, BMW et Kawasaki, de concentrer leurs investissements dans la vitrine la plus vaste.
Tous les budgets dans le même championnat - une semaine après Ducati, qui a annoncé à Indianapolis que la marque mettait un terme à son engagement officiel en superbike l'an prochain, c'est Suzuki qui est en passe d'officialiser la même décision -, une deuxième compétition réservée aux motos strictement de série, et plus aux hybrides inclassables d'aujourd'hui, l'union fera la force. Même si les promoteurs du deuxième championnat devront ravaler un peu de leur fierté, mangés qu'ils auront été par les plus forts.
Et si Thomas Lüthi rejoignait Suter en 2011?
On l'a connu plus joyeux, Thomas Lüthi. Sous la canicule de Misano, son GP a commencé de la pire des façons, avec une séance qualificative ratée, une place (15e) sur la grille qui ne correspond pas aux ambitions de celui qui est encore, ce matin, troisième du championnat du monde. Après les soucis rencontrés avec son précédent moteur - les trois derniers GP -, voilà que lui et son équipe se heurtent désormais à un mur: «Ce matin, lors des essais libres, nous avons fait un pas de géant par rapport à vendredi; mais cet après-midi, quand il a fallu encore augmenter le rythme, il n'y a rien eu à faire.»
Comme un pilote de son niveau ne peut pas avoir tout perdu d'un seul coup de baguette magique néfaste, il faut chercher ailleurs: «A un moment de la séance, je me suis retrouvé derrière Toni Elias. Il a vu que c'était moi, il a accepté de jouer le lièvre, mais après un demi-tour, j'avais déjà perdu le contact.» Mission impossible, façon classe Moto2 2010! Parfaitement dans le coup durant le premier tiers de la saison, Tom et son team se sont ensuite perdus: «Nous travaillons comme avant, tout autant qu'avant. Mais ça ne vient pas.»
Cette crise a coïncidé avec les progrès constants d'une seule Moriwaki (celle d'Elias) et de la kyrielle des Suter de la catégorie (à Misano, on en retrouve encore trois en première ligne, de trois teams différents!) Tom et les siens cherchent, et ne trouvent plus: «Nous avons tous beaucoup évolué depuis le début de la saison, mais nous pas assez. Exemple: la géométrie du châssis qui m'avait permis de jouer la victoire à Jerez ce printemps était, vendredi après-midi, tout juste bonne pour une 27e place», reprend Lüthi. Qui n'aura pas manqué de constater, hier soir, qu'il y a ce week-end huit motos Suter intercalées entre la première Moriwaki (Elias, en pole position) et le deuxième représentant du constructeur japonais (Tom, 15e).
De là à remettre en questions le choix effectué il y a tout juste douze mois, il y a un pas que le mentor de Lüthi, Daniel-M. Epp, ne se refuse plus de faire: «Rien n'est figé en vue de 2011. Si nous estimons qu'il est préférable de changer de fournisseur de châssis, nous le ferons.»
Si tel devait être le cas, on pourrait retrouver l'an prochain trois Suisses - Thomas Lüthi, Dominique Aegerter (le groupe Technomag va poursuivre l'aventure) et Randy Krummenacher (c'est confirmé depuis hier matin) - avec le même matériel sur la grille de départ!