SKI ALPIN
Albrecht entre la vie et la mort
Image © Keystone
Victime d'une terrible chute à plus de 130 km/h sur le saut final de la Streif, le skieur de Fiesch (25 ans) a été plongé dans un coma artificiel. Son pronostic vital est encore réservé.
Laurent Guyot - le 23 janvier 2009
Le Matin
Et soudain, un cri d'effroi collectif a glacé les tribunes bien
remplies de l'aire d'arrivée de la piste de Kitzbühel en Autriche. Sous
le soleil du Tyrol, le second entraînement en vue de la descente prévue
samedi connaît un sérieux coup d'arrêt. Prêt à déclencher le portillon,
Hermann Maier (36 ans) doit attendre quarante-cinq minutes avant de
s'élancer. Il est 11h42 et Daniel Albrecht, dossard No 5, part à la
faute sur l'ultime bosse de la Streif. Celle-là même qui, en janvier
2008, avait expédié Scott McCartney au tapis. Et où les images de sa
chute, puis de ses spasmes avaient à l'époque déjà refroidi l'ambiance.
Juste avant de signer le meilleur temps provisoire, Daniel Albrecht
décolle sur la petite table artificielle construite avant ce saut de
tous les dangers. Pas assez penché vers l'avant, le champion du monde
2007 du super-combiné s'offre en proie à l'air.
Silence pesant
Déséquilibré,
mais aussi poussé sur l'arrière malgré des mouvements de bras
désespérés, le skieur de Fiesch retombe lourdement sur la tête, puis
sur le dos, 60 mètres plus bas. Ses skis giclent, ses lunettes aussi et
son corps, véritable pantin désarticulé, tourne sur lui-même et n'en
finit pas de glisser le long de la piste glacée. Des secouristes
courent sur place. Prennent toutes les précautions afin de le mettre
dans la meilleure des positions avant de s'enquérir de son état.
Dans un coma artificiel
Arrivés
très rapidement auprès de la victime, Helmut Obermoser, le médecin-chef
de l'épreuve, et le médecin de Swiss-Ski prodiguent les premiers soins.
Un silence pesant s'installe au bas de la piste. Jusqu'au moment où, à
moins de 300 mètres de là, l'hélicoptère enclenche ses turbines et
décolle avec deux autres médecins accrochés à un filin. Les minutes
passent. Insoutenables. Pas la moindre nouvelle qui rassure. Les
secours s'activent encore à stabiliser un blessé toujours inconscient.
Alors que, juste en dessus du petit groupe médical, quelques lisseurs
bouchent le gros impact provoqué par la chute. A 12h08, l'hélicoptère
des secours en montagne peut enfin reprendre son vol avec, au bout de
son filin, les deux médecins qui entourent l'infortuné Haut-Valaisan.
Celui-ci reprendra conscience à l'hôpital de St. Johann avant d'être
plongé dans un coma artificiel. La faute à un premier diagnostic qui
fait état, selon un bulletin médical du médecin de course, d'un sévère
traumatisme crânien, doublé d'une hémorragie cérébrale et de contusions
aux poumons. La situation est si sérieuse que la Faculté décidera de
transférer le patient, encore une fois par hélicoptère, à l'Hôpital
universitaire d'Innsbruck. D'autres tests neurologiques y seront
effectués ce matin, lorsque Daniel Albrecht sera sorti de son coma
artificiel. Ce n'est qu'à ce stade du processus que les médecins
donneront, aujourd'hui sur le coup de 17h30, un bulletin de santé
complet.
Hier soir, le docteur Wolfgang Kohler, un praticien de
l'établissement hospitalier dans lequel Albrecht a été admis, a déclaré
que le skieur de Fiesch n'était «pas en danger de mort immédiat, mais
que l'on ne pouvait pas écarter une telle éventualité».
DE QUOI ON PARLE?
Descente
La Streif est réputée pour son saut final difficile: un an
après le grave accident de l'Américain Scott McCartney, Daniel Albrecht
s'est lui aussi grièvement blessé hier
à l'entraînement.
4 Étapes du sauvetage de Daniel Albrecht
1 AU SOL
Les
médecins et secouristes ont procédé à une première évaluation de l’état
de santé de Daniel Albrecht, selon le code de procédure ABCD. Les
praticiens se sont attelés à contrôler sa vision aérienne, sa
respiration,
sa circulation sanguine, son activité cardiaque et les autres fonctions vitales.
2 L’HÉLITREUILLAGE
En
second lieu, les secouristes ont vérifié si des fractures ouvertes, une
déviation axiale et un mauvais positionnement existaient. Ou si le
ventre du skieur gonflait. Après avoir posé une perfusion et ventilé
Albrecht, les médecins l’ont immobilisé, lui ont posé une minerve, tout
en évaluant constamment son état de conscience. Installé dans un
matelas coquille Daniel Albrecht a alors été confié aux forces des
Secours en montagne pour un hélitreuillage et son transfert vers
l’hôpital de St. Johann.
3 EN VOL
Daniel Albrecht reste placé sous perfusion et ventilé pour minimiser les risques éventuels d’un arrêt cardiaque.
4 À L’HÔPITAL
Transporté
dans le service des urgences, Albrecht y a subi un scanner tête-pied.
Aucune fracture n’est découverte. Il parvient à bouger ses bras et ses
pieds. Le diagnostic délivré par le médecin officiel de la course fait
état d’un traumatisme cranio-cérébral avec hémorragie et de lésions aux
poumons. En raison du sévère traumatisme crânien subi et de la
probabilité d’une hémorragie cérébrale, les médecins décident de
plonger Daniel Albrecht dans un coma artificiel. Il s’agit du meilleur
moyen de mettre le cerveau au repos et de lui laisser le temps de
récupérer. Le skieur suisse peut alors être transféré au service de
neurologie de l’Hôpital universitaire d’Innsbruck, où il est resté sous
surveillance permanente.
Interview
Didier Cuche
«l'air nous retourne comme une crêpe»
Comment avez-vous vécu la chute de Daniel Albrecht?
J'étais
devant la télévision installée dans l'aire de départ. J'avais décidé de
visionner sa course, car Dani était déjà à l'aise, mercredi, au premier
entraînement. Et j'étais content de mon choix jusqu'à son saut final,
car il avait effectué une descente remarquable.
Les raisons de cette terrible cabriole?
Nous
arrivons à près de 140 km/h ( ndlr. 138,2 km/h pour Albrecht) dans une
compression. Et nous devons nous remettre dans une position plus en
avant pour aborder ce saut, qui est précédé d'une petite table destinée
à aider l'envol. A l'évidence, Daniel était encore un peu trop en
arrière. Et à cette vitesse, il n'avait aucune chance de pouvoir se
récupérer. L'air nous retourne comme une crêpe. Imaginez le sort
réservé à votre main, si vous la sortiez de la vitre de votre voiture,
à 140 km/h...
Placer une table d'envol à cet endroit, c'était nécessaire?
Sur
le plan de la sécurité, il s'agit même d'une bonne chose. Après, il
faut l'ajuster et l'adapter au gré des passages. Dans le cas présent,
les derniers mètres ont encore tendance à légèrement monter. Alors si
vous ne vous positionnez pas bien, la chute est inévitable.
Et une trentaine de minutes plus tard, c'était à vous d'y aller?
Ce
n'est pas la première fois que nous sommes confrontés à des images de
chutes. A Kitzbühel, il y en a même plusieurs chaque année sur ce saut.
Ce n'était pas évident de chasser cette nervosité grandissante.
Heureusement, j'ai réussi à retrouver ma concentration. Et j'ai tout de
suite senti, dès les premières portes, que j'étais bien sur mes skis.
J'ai l'impression de m'être retrouvé au niveau de mon feeling et de mon
attaque.