L'INTERVIEW
Philippe Le Jeune: «Genève, c'est mon coup de coeur»
Image © Christian Bonzon
Philippe Le Jeune se réjouit de concourir à Genève, où lui et son cheval «Vigo- d'Arsouilles» se sentent particulièrement bien.
Champion du monde de saut d'obstacles, le Belge Philippe Le Jeune est l'une des têtes d'affiche du Concours hippique de Palexpo qui commence demain.
Christian Maillard - le 07 décembre 2010, 22h24
Le Matin
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Philippe Le Jeune, est-ce que ce titre de champion du monde, que vous avez gagné, avec panache, le 9 octobre dernier à Lexington, ça change un homme?
Non, rien du tout, même si en Belgique on ne parle désormais plus que de ça! J'ai déjà reçu un trophée et je suis nominé pour le titre du sportif de l'année. C'est la première fois, dans mon pays, que notre discipline est projetée ainsi dans la lumière. Je suis fier si grâce à moi l'image que j'ai donnée au plus beau sport du monde existe. Mais cela n'a pas changé ma vie. Je me suis fait opérer du ménisque du genou droit et je monte toujours huit chevaux par jour. Je bosse comme avant.
Et votre cheval, «Vigo-d'Arsouilles», a-t-il, lui, attrapé la grosse tête?
Il ne sait même pas qu'il est champion du monde! Il a toujours son chez-soi, les mêmes soins, il n'y a rien qui a changé pour lui. A la maison, il est, tout de manière, le roi. On n'a pas modifié sa façon de s'entraîner ni sa manière de vivre. Il était déjà bien choyé avant. Il reste cheval, point à la ligne. Il a l'air d'un nounours, mais il est assez capricieux. Il peut être jaloux d'autres étalons et se blesser volontairement pour attirer mon attention. C'est un zouave, cela dit, il est très brave. Il n'y a pas plus cool que lui. En concours, c'est un agneau.
Quelle relation avez-vous avec «Vigo-d'Arsouilles», avec vos chevaux en particulier?
Les chevaux, c'est ma vie. C'est un peu comme mes enfants. Leur bien-être passe avant tout. Je vis avec eux, j'habite sur place, je les vois tous les matins, toute la journée, tous les soirs. Je crois en eux. Je partage ma vie avec eux depuis trente-cinq?ans.
Comme Robert Redford, êtes-vous un homme qui murmure à l'oreille de vos chevaux?
Je leur parle beaucoup, mais je ne leur raconte pas des histoires et ne leur murmure rien de particulier à l'oreille.
Vous souvenez-vous de la première fois?
Quand je me suis assis sur le dos d'un poney? C'était en 1967, j'avais 7 ans. Il s'appelait «Pony», c'était un poney tout noir.
Que pensez-vous des cavaliers qui dopent leurs chevaux?
Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de tricheurs. Il y a eu des malentendus, des quiproquos entre la Fédération internationale et les vétérinaires, oui. Pour moi, le problème est lorsqu'un cheval a un petit bobo, un rhume ou de la fièvre. Ou qu'il voyage mal, qu'il a des courbatures ou une petite blessure. On lui donne un médicament et, deux jours après, le cheval est guéri. Mais il ne peut pas participer au concours parce qu'il est positif. C'est aberrant et injuste. Le week-end passé, mon deuxième cheval a commencé à tousser le dimanche. Pour le soigner, j'ai dû lui donner des antibiotiques. Du coup, je ne suis pas certain que je puisse le prendre à Genève même si ce n'est pas ça qui va mieux le faire sauter. Même s'il y aura toujours des moutons noirs, on travaille trop dur toute notre vie pour bousiller un cheval de Grand Prix.
Les moments difficiles de votre carrière peuvent-ils, à ce moment-là, surtout quand on touche le Graal, galoper dans votre tête?
Il y a eu des moments compliqués, c'est vrai! Quand on fait un boulot énorme avec des chevaux que l'on monte durant deux à trois ans pour arriver au plus haut niveau et qu'à ce moment-là le propriétaire, pour une raison ou une autre, décide de le vendre sans vous demander votre avis. Ce sont des choses difficiles qui sont arrivées, des histoires idiotes. Les cavaliers ne sont jamais assez rémunérés de ce qu'ils font avec leurs chevaux. Si on devait être payés comme des électriciens ou des menuisiers, on gagnerait des sous, contrairement à beaucoup de cavaliers qui ne gagnent pas leur vie.
Avez-vous la même relation avec votre cheval qu'un pilote de F1 avec sa voiture ou qu'un skieur avec ses skis? Etes-vous, à ce point, tributaire de votre animal?
Oui, sauf que nous, on a affaire à un animal qui est vivant, qui a son caractère, ses bons et ses mauvais moments, comme les humains et les autres animaux. C'est ce qui fait la beauté et la difficulté de notre sport. C'est tout à fait différent à gérer. Si on a les bons skis, une bonne voiture, de bons mécaniciens, de bons techniciens, c'est bon. Mais nous, d'une semaine à l'autre, même si on est au point, on est tributaire du cheval, qui a ses humeurs. Nous, des fois, tout est au point, mais le cheval a ses humeurs.
On l'a constaté aux Mondiaux du Kentucky: avec «Vigo-d'Arsouilles», vous ne connaissez jamais de coups de barre?
On peut toujours le dire, tous les jours.
Après votre titre mondial, votre crack a-t-il été bien récompensé?
Tous les chevaux, chez moi, sont traités comme des rois. «Vigo-d'Arsouilles» n'a pas eu plus d'attention que les autres. C'est surtout la presse qui s'est occupée de lui. Maintenant, quand il entend «clic-clic», qu'il voit un photographe, il fait demi-tour dans son box, part dans le coin et couche ses oreilles. Pendant un mois, après le titre, il y a eu un va-et-vient incessant dans les écuries. Là, on ne sait plus comment le prendre.
A Genève, il y aura aussi un public chaleureux. Vous aimez ce concours de Palexpo?
Je l'adore. Mon cheval aussi. C'est la plus grande piste indoor d'Europe qui lui convient bien. C'est un public de connaisseur, avec des jeunes cavaliers qui montent dans les alentours et qui se font une fête de venir. Mais ils seront surtout là pour voir Steve Guerdat, la coqueluche, l'enfant de la région, qui figure dans le top 10.
Cela promet une belle bagarre entre vous deux.
Mais il n'y aura pas que nous deux. Ce sera une lutte entre les 30 vedettes présentes à Palexpo. Genève peut se réjouir que tous les cracks soient là. Pour moi, ce concours à Palexpo, c'est mon coup de coeur. Je ne viens ici, à Genève, uniquement si j'ai des chevaux qui sont à la hauteur.
Avez-vous de la Suisse dans vos idées?
J'adore la Suisse. J'y ai vécu durant six ans, au Tessin, entre Mendrisio et Lugano. Je connais d'ailleurs tous les cavaliers et les organisateurs. Il m'arrive de venir aussi en vacances, pour skier.
Peut-on comparer la Suisse avec la Belgique, les Romands avec les Wallons et les Alémaniques avec les Flamands?
Non, car chez vous les politiciens sont beaucoup plus calmes. Il n'y a pas le même vacarme. Chez nous, c'est vraiment la guerre. Ils sont idiots, c'est absolument lamentable.
Et si vous n'aviez pas été cavalier?
J'aurais été fermier. Pour vivre avec des animaux.
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