TENNIS
Andre Agassi a reçu «Le Matin Dimanche» dans son école de Las Vegas
Image © Keystone
«Si j’avais été plus éduqué, ma vie aurait été mienne bien plus tôt»
Joueur à l’âme torturée, l’Américain a trouvé l’apaisement grâce à l’amour de Steffi Graf et à travers son engagement en faveur des enfants défavorisés. Pour eux, il a bâti une école modèle*, où son soutien pour Longines nous a permis une rencontre exceptionnelle.
Gaëlle Cajeux - le 14 mai 2011, 21h03
Le Matin Dimanche
«La seule perfection qui existe est d’aider les autres.» Vous avez matérialisé votre credo par cette école. Elle est le sens de votre vie?
Oui, c’est ma vie, ma passion. Ici, pas de tennis. Mon but est d’offrir l’éducation, d’apprendre aux enfants la culture du respect, le respect d’eux-mêmes, de leur donner un leadership. Je suis persuadé qu’en imposant des exigences élevées aux jeunes, ils ne nous décevront pas. Ils ont besoin de ça. Depuis douze ans, nous avons déjà changé la vie de tellement d’enfants. C’est si gratifiant de voir qu’ils apprécient cet environnement exigeant.
Vous qui aviez horreur de l’école, pourquoi en avoir construit une?
C’est vrai que pour moi, ça ressemblait à un calvaire. (Il sourit.) Mais j’ai conscience de ce qui aurait changé si l’école avait été ma priorité. Si j’avais été plus éduqué, si j’avais pu découvrir mes passions et apprendre à me connaître à travers elles, ma vie aurait été mienne bien plus tôt. J’ai eu une existence privilégiée, mais j’ai toujours regretté ce manque d’éducation. Car cela implique un manque de choix. Personnellement, je pouvais me raccrocher au tennis, mais pour ces enfants des quartiers défavorisés, ce manque de formation signifie tout autre chose. Ce sont les gangs, la prison. Je veux leur faire comprendre que par l’éducation, on peut éliminer les problèmes, changer leur futur.
Dans votre autobiographie, vous clamez également votre détestation du tennis. Avec une telle carrière, difficile de vous croire…
J’ai détesté le fait que le tennis me prive de mon enfance, qu’on me dicte qui je devais être, devoir dire aux gens qui j’étais alors que je ne me connaissais pas. Plus tard, j’ai réalisé que ce n’était pas le tennis que je détestais, j’étais mal dans ma peau. C’est comme dans une relation amoureuse. Si vous n’êtes pas prêt, peu importe avec qui vous êtes, ça ne peut pas marcher. Moi je n’étais pas prêt à aimer quoi que ce soit parce que je ne me connaissais pas moi-même. Et malheureusement, le tennis est ce vers quoi j’ai dirigé ma colère, ma frustration et ma peine. Ce n’est qu’à 29 ans que j’ai réussi à aimer ce sport.
Quel fut le déclic?
Choisir le tennis. Trouver une raison de le faire. Je jouais pour construire cette école. Enfin, le tennis m’apportait quelque chose. Ensuite il m’a donné ma femme, mon équilibre.
Elle vous est apparue comme une lumière?
Oui, Stefanie est le cadeau de ma vie. C’est une mère formidable, une partenaire fantastique. Un plaisir.
A 41 ans, que reste-t-il chez vous du jeune rebelle à la coupe d’Iroquois qui fumait du hasch et se soûlait au whisky?
Je reconnais des parts de moi dans ce gamin. Je suis très têtu, très passionné, ce qui peut être une qualité si votre perception est correcte ou un terrible défaut si vous êtes dans le faux. Aujourd’hui, je fais preuve de plus de jugement, de plus de volonté à comprendre les choses dans leur contexte. Quand j’étais jeune, j’étais le même genre de personne, sauf que je pensais comprendre alors que ce n’était pas le cas. J’étais très déterminé, j’étais un rebelle, alors ça n’avait pas d’importance pour moi. Je pense que c’est une bonne et une mauvaise qualité. Ça m’a apporté le succès, mais aussi beaucoup de difficultés.
Votre personnalité a touché le public qui avait et conserve une relation très forte avec vous.
Je me sens aussi très lié, parce que je m’intéresse à ce que les gens ressentent, pensent et vivent. Je comprends les difficultés, je les ai vécues donc je suis très ouvert concernant mes expériences. Les gens ne veulent pas se sentir seuls dans la vie. Moi non plus. C’est un voyage très individuel, unique, mais finalement, les choses que nous traversons sont universelles.
Vous avez vécu des moments rares, comme votre incroyable finale contre Medvedev à Roland-Garros. Y repensez-vous parfois?
Ça me semble être une autre vie. Mais je n’oublierai jamais ce match. Parce que c’est là que je me suis vraiment senti tennisman professionnel. J’ai su que je ne regretterais jamais ce qui s’était passé sur ce court central de Roland-Garros. J’avais traversé tellement d’obstacles personnels. J’avais divorcé 40 jours plus tôt (de l’actrice Brooke Schields). Je revenais de la 140e place mondiale. Ça avait été le premier Grand Chelem que j’aurais pu gagner (1990, défaite contre Gomez) et c’était le seul qu’il me restait à gagner. La surface était la plus dure pour moi et je jouais contre mon pire adversaire… Andre. (Il sourit). Moi-même. Je perdais 2 sets à 0 et j’ai réussi à revenir. Cette finale fut comme un microcosme de ma vie.
Que vous inspire le trio de tête de la hiérarchie mondiale actuelle?
Sincèrement, je suis content de ne plus jouer. On (les joueurs de sa génération) ne pourrait jamais évoluer à un tel niveau. Comme chaque sport, tous les trois ou cinq ans, le tennis connaît une progression spectaculaire. Je pense que là, il a augmenté de deux niveaux. J’ai joué Federer quand il était tout jeune et je l’ai battu facilement (6-3, 6-2, en 1998 à Bâle). Ensuite, je l’ai affronté quand il était au top et il était méconnaissable (4 victoires de Federer en 2005). Je n’avais jamais été confronté à un tel niveau. J’ai aussi joué Nadal à ses débuts (deux fois, en 2005 et 2006), mais il était déjà trop fort pour moi. Maintenant, il est encore dix fois meilleur!
A Paris, la terre lui semble promise.
Personne n’est imbattable. Il est le favori, de loin, mais il doit toujours enfiler ses baskets et aller au combat avant d’entendre «Game, set, match».
Et Federer?
Il joue toujours fantastiquement bien. Bien sûr, avec l’avènement de Nadal et Djokovic, sa période de domination absolue est révolue. Reste qu’il peut encore remporter chaque tournoi qu’il dispute. Mais il lui faut travailler encore plus dur pour y parvenir.
Andy Murray vient d’entamer une collaboration avec votre entraîneur Darren Cahill. Qu’en pensez-vous?
C’est une très bonne décision. Darren et Brad (Gilbert, coach d’Agassi de 1994 à 2002) sont les deux meilleurs coaches du monde. Darren va aider Andy à comprendre ses forces et comment les utiliser contre certains joueurs, comment gérer les différentes situations. Désormais, il y aura quatre personnes à la lutte pour la place de No 1 mondial.
*L’Andre Agassi College Preparatory Academy offre une éducation, qui vise l’excellence, à quelque 700 élèves (de la maternelle au bac) issus des quartiers pauvres de Vegas
EN DATES
1970 Kid
Naît le 29 avril à Las Vegas. Dès 3 ans, son père, Emmanuel «Mike» Agassian (qui a représenté l’Iran dans les épreuves de boxe aux JO de 1948 et 1952), l’entraîne quotidiennement. Passe pro à 16 ans.
1992 Grand
Décroche à Wimbledon son premier titre du Grand Chelem. Sept autres suivront (US Open (1994, 1999), Open d’Australie (1995, 2000, 2001, 2003),
Roland-Garros (1999).
1995-97 Up and down
En avril, atteint pour la première fois la place de No 1 mondial. Gagne le titre olympique l’année suivante à Atlanta. En 1997, plonge dans une période de dépression, consomme
de la méthamphétamine.
2001 Bonheur
Epouse Steffi Graf le 22 octobre. Leur fils, Jaden Gil, naît quatre jours plus tard. Jaz Elle complétera la famille le 3 octobre 2003.
2005 Exploit
A 35 ans, s’adjuge le tournoi de Los Angeles et accède à la finale de l’US Open, vingt ans après sa première participation. Il s’incline face «au meilleur joueur qu’il ait rencontré»,
Roger Federer.
2006 Retraite
Se retire du circuit ATP après son élimination de l’US Open, vaincu par l’Allemand Benjamin Becker et les douleurs qui enflamment son dos depuis des années. Sera intronisé membre de l’International Tennis Hall of Fame le 9 juillet 2011.