FOOTBALL
La Swiss Football League a réglé des impayés de Bulat Chagaev
Dominique Botti | Le Matin Dimanche
L‘instance faîtière a pris des factures à sa charge pour garantir le bon déroulement du championnat. Des créanciers s’interrogent sur cette ingérence. Ces versements reporteraient sans raison l’agonie d’un club en faillite.
S’il n’y a pas d’images, il n’y a pas de match. Aussi la SFL a-t-elle rétribué elle-même la société responsable. © Keystone/Sandro Campardo
Sans l’intervention de la Swiss Football League (SFL), la saison de Neuchâtel Xamax aurait pu s’arrêter il y a un mois et demi, faute de pouvoir organiser des matches dans son stade de la Maladière.
La société Sysconcept qui gère les écrans géants dans l’enceinte avait en effet menacé de ne plus travailler, si ses créances n’étaient pas payées par le club neuchâtelois. Alertée, la Swiss Football League a décidé de régler elle-même ces factures pour assurer le déroulement du championnat. Le sauvetage interpelle les autres créanciers. Ces derniers craignent que l’action ne prolonge l’agonie du club. Au final, le prix de la faillite pourrait être aggravé.
Pubs et messages de sécurité
Sept employés de la société Sysconcept assurent la diffusion des images et le son du speaker dans le stade, depuis le début de la saison en juillet. Avant le match contre le FC Thoune début octobre, son directeur, Gérard Py, fait le bilan de la situation. Ses services n’ont jamais été payés. Et la direction de Xamax ne répond pas. «Je me suis dit, cela ne peut plus continuer», raconte-t-il. Un ultimatum est lancé.
La menace de cesser ces activités est un gros problème pour Xamax et la ligue. Car le fonctionnement du système audiovisuel dans le stade est nécessaire au bon déroulement des matches. Ces écrans diffusent les messages de sécurité destinés aux supporters, de même que les publicités de la ligue professionnelle. S’il n’y a pas d’image, il n’y a pas de match. Et sans match, Xamax risque l’exclusion de la compétition.
La SFL a payé les créances de Sysconcept après avoir tenté de régler le problème avec le propriétaire de Xamax, Bulat Chagaev. Elle a également décidé de payer la société pour la suite de la saison, soit 3000 francs par match. «Nous pouvons ainsi continuer à travailler, explique le directeur. Mais nous assurons le strict minimum.»
Ses employés ne diffusent que les publicités ou les messages adoubés par la ligue. Depuis, la direction de Xamax, de son côté, n’a toujours pas bougé.
Ce n’est pas la première fois
Edmond Isoz, directeur de la SFL, reconnaît les versements. «Nous sommes là pour garantir le bon déroulement de la compétition», justifie-t-il. Cette prestation serait nécessaire pour la sécurité du public et pour le respect des contrats publicitaires. Il ajoute que cette opération de sauvetage a déjà été effectuée, pour des montants bien supérieurs, pour soutenir d’autres clubs en difficulté. «Mais je ne vous dirai pas lesquels», précise Edmond Isoz. Pour honorer Sysconcept, la ligue ne puise pas dans sa tirelire. Elle s’approvisionne sur un compte que Xamax dispose à la SFL. Cette manne, qui est notamment alimentée par les droits TV, est versée au club à intervalles réguliers durant la saison. «Tous les clubs en ont un», détaille Edmond Isoz qui souligne que ces derniers n’ont pas été informés du paiement de Sysconcept. Pour quelle raison devraient-ils l’être, interroge-t-il, puisque c’est Xamax qui paie.
Ce rôle de la SFL dans la gestion de Xamax interpelle toutefois les autres créanciers. «La ligue se voile la face», affirme Me Vincent Solari. L’avocat d’un des créanciers, qui avait demandé la faillite du club sans poursuite préalable, a l’impression que les autorités du football n’ont pas joué leur rôle de gendarme. Ils veulent maintenir à flot le club coûte que coûte. Et ainsi assurer le déroulement du championnat à dix équipes.
Ce n’est pas la première fois que la ligue prend une décision étonnante dans ce dossier. Elle n’avait pas réagi plus que cela en mai, lors du rachat de Xamax par le Tchétchène Bulat Chagaev. «C’est une transaction privée», avait déclaré Edmond Isoz.
Depuis, elle a tardé à sanctionner le club qui n’a toujours pas fourni tous les documents nécessaires au bon contrôle financier Fin octobre, la SFL a même produit des attestations de son directeur Edmond Isoz pour le compte de la défense de Xamax lors d’une audience en justice sur une éventuelle faillite. Le juge Bastien Sandoz l’avait rejetée. Aujourd’hui, la justice a ouvert deux enquêtes pénales, notamment pour gestion déloyale contre Xamax et Chagaev. Ce dernier n’a pas encore prouvé l’existence de sa prétendue fortune.
Un doute, sans suite
«Le Matin Dimanche» s’est procuré de nouveaux documents qui interpellent quant au rôle de la ligue. Sa direction a reçu par un courriel de Xamax, le 16 septembre à 21 h 42, une attestation de la Bank of America qui certifie que Bulat Chagaev dispose de 35 millions de francs au service de Xamax. Soupçonné d’être un faux, ce document fait l’objet d’une enquête pénale dans le canton de Neuchâtel.
Pour quelle raison la SFL n’a-t-elle pas immédiatement alerté la justice? Car elle semble bien avoir eu des doutes sur la validité de cette attestation. Le directeur Edmond Isoz répond que ce document n’était pas un titre de valeur. Et que la ligue a demandé des compléments d’information, notamment une garantie bancaire.
«Nous n’avions donc pas à évaluer cette attestation, poursuit-il. Puisque nous ne la prenions pas en considération.»
Cette position semble avoir évolué puisque Daniele Moro, le président de la Commission de discipline de la ligue, a demandé par courrier à Xamax des explications sur cette attestation mystérieuse, le 9 novembre. La ligue a donc réagi deux mois après l’avoir reçue. Et deux jours après l’ouverture d’une enquête pénale.
Me Vincent Solari conclut en rappelant les conséquences possibles de l’attitude de la ligue, en rapport surtout avec le paiement des factures à Sysconcept. Lorsqu’il y a faillite, explique-t-il, on désigne des organes responsables, comme la direction du club. Mais il peut y en avoir d’autres. Comme des entités tierces qui seraient intervenues dans la gestion du club à un moment ou à un autre. «Ces entités deviennent des organes de fait», poursuit Me Vincent Solari. Si c’était le cas pour la SFL, «sa responsabilité potentielle dans la faillite pourrait être engagée».
MICHEL FAVRE, EX-VICE-PRÉSIDENT, EXHORTE SYLVIO BERNASCONI À PRENDRE POSITION
EXCLUSIF
Vice-président de l’ancien conseil d’administration du club neuchâtelois, Michel Favre est d’avis que Sylvio Bernasconi doit sortir de sa tanière et enfin faire toute la lumière sur la reprise du club et les problèmes financiers qui en résultent. «C’est le moment, clame-t-il. Et c’est d’ailleurs ce que j’ai dit à Sylvio pas plus tard que vendredi. J’espère que l’arrivée de Me Barillon dans le débat permettra de réunir Bernasconi et Chagaev, de manière à mettre un terme à toutes ces rumeurs.»
En tant qu’ancien vice-président, Michel Favre est forcément concerné par les accusations de Bulat Chagaev et la grogne qui s’est emparée d’une partie de la population neuchâteloise contre les anciens dirigeants. «Je ne cache pas qu’on a pu commettre des erreurs, il y en a eu d’autres de commises après la reprise aussi. Mais il est difficile d’en situer le niveau: nous devions boucler l’exercice comptable au 30 juin, et Sylvio a vendu le club le 12 mai. Il y est allé à l’instinct, et il en avait le droit, puisqu’il était actionnaire majoritaire. Mais cela rend forcément les estimations aléatoires sur cette période d’un peu moins de deux mois.»
De fait, on a parlé de manquements de l’ancien conseil d’administration à hauteur de quatre millions, puis deux. «On en est à environ 1,5, d’après ce que j’ai récemment entendu. Maintenant, il ne faut pas oublier à quoi ressemblait le club lorsque nous l’avons repris des mains d’Alain Pedretti (ndlr: en 2005). Il était cliniquement mort. Nous l’avons recapitalisé, et nous avons obtenu notre licence sans condition six ans de suite. Sylvio l’a transmis en nettement meilleur état que quand il l’a repris.» Michel Favre se veut constructif. Et rassembleur: «Je pense que Sylvio attend que Chagaev lui prouve ses éventuelles erreurs pour réagir. Mais il doit faire taire les critiques. Il n’y a qu’en mettant les choses à plat que nous saurons enfin où nous situer. Moi, je dors mal depuis que le club est confronté à ces problèmes. J’en souffre, pour Gilbert (Facchinetti), pour la famille dont je fais partie, pour le club dans son ensemble.»
Et Michel Favre de conclure: «Je suis assez d’accord avec Christian Constantin quand il dit que Bernasconi a transmis les commandes de l’avion à quelqu’un qui ne sait pas le piloter. Ce n’est pas méchant, et ce n’est pas loin de la vérité. Maintenant, je suis enclin à ce que tout le monde fasse la paix. Depuis six mois, on n’a fait qu’envenimer les choses. Cela devient usant. Qu’on arrange les choses, mais qu’on ne le fasse pas en public. Et surtout, qu’on fasse le maximum pour soutenir cette magnifique première équipe et tous les juniors.»
Le message est lancé. Me Barillon, Bulat Chagaev et Sylvio Bernasconi l’entendront-ils ?
Renaud Tschoumy, Neuchâtel