MOTOCYCLISME
Moto2, l'exemple à suivre
Image © Keystone
Spectaculaire, assurément, la classe Moto2! Avec le même moteur pour tous et de nombreux pilotes de différents pays, la course est extrêmement serrée.
Quand le nivellement technique a des effets bienfaiteurs. Ou lorsqu'un projet qui semblait raté réveille l'intérêt du grand public.
Jean-Claude Schertenleib - le 03 mai 2010,
Le Matin
GP d'Espagne
Il n'y a que les imbéciles qui, dit-on, ne changent jamais d'avis. C'était il y a un peu moins d'une année; oubliant les promesses faites, les promoteurs du championnat du monde et la Fédération internationale (qui détient le pouvoir sportif) décidaient d'un commun accord de précipiter l'envoi au musée de la classe 250 cm3, l'une des dernières catégories historiques du Mondial des courses sur route. Pour la remplacer par quoi? Une classe Moto2, ouverte aux constructeurs de châssis, mais totalement fermée au niveau du moteur (le même pour tous).
Certains, ce jour-là, avaient crié au scandale, un peu comme si les décideurs avaient soudainement vendu leur âme au diable. Une catégorie économique? Impossible! Une classe où l'équilibre technique est garanti? Pensez donc... Et pourtant. Pourtant? La classe Moto2 est née, dans un certain chaos hivernal, c'est vrai, mais elle existe si bien que depuis le début de cette saison 2010, c'est bien elle qui vole la vedette à la catégorie MotoGP. Princesse sans le moindre complexe en passe de faire de l'ombre à une catégorie reine qui paie le prix fort à son trop-plein de développement électronique - donc financier. Cela à l'heure où la crise économique frappe de plein fouet les pays qui occupent des rôles de leaders dans le milieu, à commencer par l'Espagne.
Le nivellement technique: une hérésie?
Les férus d'histoire et les puristes aiment rappeler que la compétition, qu'elle soit automobile ou motocycliste, a d'abord servi - elle sert toujours - de banc d'essais au développement de solutions qui ont ensuite été adaptées aux produits du marché. Limiter le développement technique et obliger les concurrents d'une catégorie qui a le statut de championnat du monde à utiliser tous le même moteur ressemble donc à une parfaite hérésie. C'est vrai en théorie, ça l'est beaucoup moins en pratique et plus du tout dans une période économique difficile: «Moins on peut faire de choses, plus il faut en faire», rappelle un ancien technicien du paddock. Dont le discours est plébiscité par Thomas Lüthi, désormais troisième du classement mondial: «Notre travail est différent, mais il est très passionnant, puisque la clé du problème se situe dans une équation que tout le monde connaît - trouver l'équilibre parfait entre la moto et le style de pilotage - alors que justement l'équilibre parfait n'existe jamais.»
Le moteur unique: «la» solution
Deuxième critique, qui revient de manière récurrente dans le discours des passionnés purs et durs: «Avec moins de 120 chevaux, ces motos ressemblent à des tracteurs...» On a vu au Qatar, et plus encore dimanche à Jerez de la Frontera, que ces «tracteurs» peuvent offrir un spectacle de tous les instants. Et même si les meilleures Moto2 sont moins rapides que ne l'étaient les meilleures 250 (1'44''372 par Tomizawa, samedi après-midi, contre 1'42''868 par Pedrosa, en 2005), l'équilibre général des forces efface totalement ce handicap. La bagarre à tous les niveaux - pour obtenir sa treizième place, Dominique Aegerter a dû sortir le grand jeu - est idéale pour les spectateurs qui se déplacent au bord du circuit; celle pour la victoire est parfaite pour les millions de téléspectateurs. Qui en redemandent.
Le peloton grossi: «le» coup de génie
Un autre élément explique le succès de la nouvelle formule, la quantité de pilotes pris sous contrat: 40! C'est assurément «le» coup de génie du projet, puisqu'il permet d'ouvrir le championnat du monde à des participants de nombreux pays différents. Donc de générer des retombées plus éclectiques, à l'heure où les partenaires financiers soupèsent avec toujours plus d'attention la vitrine sur laquelle ils entendent promouvoir leurs produits. Plus indirectement, cette ouverture aux GP a fait un mal direct au championnat du monde supersport, dont les courses se déroulent dans le cadre du mondial superbike et où ils ne sont généralement que 16 au départ... dont cinq ou six capables de se battre aux avant-postes.
Demain: copier la recette
«C'est définitivement une catégorie qui va permettre à tout le monde de beaucoup se divertir grâce à des courses extrêmement serrées»: l'homme qui parle, c'est Hervé Poncharal. Le président de l'IRTA (Association des teams de GP), qui est propriétaire d'un team en MotoGP et d'un autre en Moto2. Il exprime le sentiment du grand public, le seul qui donne de la valeur à un spectacle sportif. Et si Elias, Tomizawa, Lüthi & Cie jouent actuellement les cobayes, la trace qu'ils laisseront dans l'histoire de la course sera profonde. Car demain déjà il faudra trouver une solution pour remplacer une classe 125 cm3 qui sera obsolète à très court terme, comme il faudra trouver des solutions pour grossir le peloton MotoGP. Afin d'offrir plus que 17 pilotes - dont une demi-douzaine, au maximum, peut espérer s'imposer régulièrement. Afin, aussi, de convaincre les marques engagées dans le mondial superbike et qui ne le sont plus en GP (Kawasaki, Aprilia, BMW) de revenir au bercail. Pour un seul grand championnat du monde!