«Pour nous, le danger vient de l’intérieur»
Football
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Le sélectionneur des Bleus a reçu cinq médias étrangers, dont «Le Matin Dimanche», pour parler de la France, sa France. Le «Président» a dit…
Par Nicolas Jacquier. Mis à jour le 26.05.2012
Laurent Blanc, dit «le Président», sait que maintenant il doit tenir ses promesses électorales.
Image: Imago/Panoramic
Depuis sa nomination en mai 2010, le «Président» s’est installé au château de Clairefontaine, situé dans la forêt de Rambouillet, à 60 km au sud-est de Paris. C’est ici, au centre technique national – 56 hectares, dont 68 000 m2 de pelouses engazonnées – que la France prépare un Euro de la rédemption. Pour Laurent Blanc (46 ans), succédant au mal-aimé Domenech au sortir d’une campagne sud-africaine calamiteuse, les promesses électorales étaient simples: redonner vie à une équipe détestée de ses supporters. «On est parti d’une feuille blanche.» Point d’orgue de cette débandade: la mutinerie de Knysna, quand les grévistes millionnaires avaient refusé de s’entraîner. «L’équipe avait fini par se détourner de ce qu’elle aurait dû toujours être. Voilà ce qui peut se passer quand on privilégie des intérêts personnels.»
Comment le «Président» Laurent Blanc a-t-il accueilli l’arrivée de François Hollande à l’Elysée?J’ai fait ce que je devais faire, mon devoir de citoyen. Le changement de locataire à l’Elysée n’a pas changé mon mode de fonctionnement.
D’où tenez-vous ce surnom de «Président»?Il est né à Marseille, lors de mon passage à l’OM à la fin des années 90. Je revenais de Barcelone. C’est Rolland Courbis qui m’avait baptisé ainsi. Vu de l’extérieur, on a le sentiment que la France commence seulement à oublier le fiasco sud-africain. Oh, les turbulences, c’est notre histoire, on peut remonter très loin. Les périodes fastes du football français ont toujours coïncidé avec des générations exceptionnelles. Depuis 2010, on a reconstruit un noyau, le cœur de l’équipe. Ça a pris du temps et il en faudra encore. J’espère que le noyau s’élargira, qu’il gagnera de l’expérience avec l’Euro.
En 2010, la France n’a-t-elle pas principalement souffert de sa propre arrogance?Si l’on a pu nous trouver arrogant, c’est que cela doit être le cas. En Afrique du Sud, les joueurs ne se sont pas seulement faits du mal à eux-mêmes; ils en ont surtout fait au football. Sur un terrain comme dans la vie, il faut que chacun reste à sa place.
En posant vos valises à Clairefontaine, dans ce lieu chargé d’histoire, quelle a été votre priorité en tant que sélectionneur?Amener de la sérénité, de la tranquillité en étant conscient de la période que l’on vit. Quand la France gagnait, il y avait toujours le même joueur exceptionnel (Zidane) qui la faisait gagner. Aujourd’hui, il y a des jeunes, du talent, mais ça ne suffit pas encore à en faire une grande équipe.
Le sacre de 1998, vous y pensez souvent?J’en parle un peu avec les nouveaux Bleus. Eux-mêmes ont des souvenirs. Mais quand vous construisez quelque chose, mieux vaut penser aux plans du futur qu’aux succès du passé.
Cette nouvelle France vous ressemble-t-elle?On espère toujours que son équipe imprime une partie de ce que l’on est. En définitive, seuls les résultats font que votre équipe vous ressemble un peu, beaucoup ou pas du tout.
Flamboyant avec le Bayern, Franck Ribéry n’est qu’un leader éteint dès qu’il enfile le maillot bleu blanc rouge. A quoi cela tient-il?Ce n’est pas le même Ribéry qu’au Bayern, c’est un fait. Avec nous, il n’arrive pas à se libérer. C’est devenu un poids. Si vous avez un truc pour l’en débarrasser, je suis preneur!
Ribéry est-il facile à gérer? On dit qu’il ne pipe pas mot avec Nasri et Gourcuff, notamment.Tout ça, ce sont des blagues, sauf qu’elles n’ont rien de drôle. Franck est quelqu’un de très généreux. Son gros défaut, c’est d’être trop entier, trop impulsif et de vouloir le montrer.
En arrivant à Clairefontaine, le visiteur est accueilli par des affiches géantes où il est écrit «Vive le football libre». Franchement, ce slogan,vous y croyez?Dans une certaine limite, oui. On ne peut certes plus faire ce que l’on veut, la gestion d’un groupe impose des règles de vie commune, mais le sport collectif aura toujours besoin de liberté. Parlons plutôt de liberté surveillée, mais pas conditionnelle car le port d’un bracelet signifie que vous êtes déjà un condamné.
Quel regard l’amoureux du beau jeu porte-t-il sur la victoire de Chelsea en Ligue des champions?Ne chipotons pas. En sport, celui qui gagne a toujours raison, c’est même la finalité. Si on peut y ajouter du spectacle, on le fait parce que c’est mieux. Mais Chelsea ne serait jamais devenu champion d’Europe s’il avait voulu imiter le Barça qu’il avait éliminé.
Etre sélectionneur, c’est facile ou c’est un enfer au quotidien?Quand j’ai donné ma parole, on était en mai 2010, et la Coupe du monde n’avait pas encore commencé. Mais je savais déjà que ma tâche allait être difficile. Après ce qui s’est passé en Afrique du Sud, c’est devenu encore plus difficile. Etre sélectionneur, ça prend du temps, or je n’en ai pas assez. Au départ, les gens sont patients, mais après trois mois, ils en ont déjà marre. Seuls les résultats font grandir une équipe. Qui paiera les pots cassés si l’on se plante en juin? C’est moi! Or je ne suis pas venu ici pour entretenir une classe biberon, je suis là pour former une équipe compétitive.
Que craignez-vous le plus? Vos adversaires ou la capacité de destruction de votre propre équipe?Le danger vient de l’intérieur. Les adversaires, bien sûr que ça compte. Mais moi, je préfère insister sur ce que je peux changer, où j’ai de l’influence. Je garde mon énergie pour mon équipe. On dissèque le jeu de nos adversaires mais la finalité viendra toujours de ce que l’on sera capable de faire. Même si aujourd’hui on souffre de l’absence d’un leader. Si vous avez un Zidane, c’est plus facile pour tout le monde, sauf pour votre adversaire. Avoir un bon collectif quand vous n’avez pas de grands leaders permet parfois de faire la différence.
Existe-t-il une véritable culture de foot en France? On a plutôt la sensation d’un fossé grandissant.La culture française n’est pas celle de l’Angleterre, de l’Allemagne ou de l’Espagne. La France n’est pas une nation de footballeurs, on a moins l’esprit à ça qu’en Espagne. Et il ne faut pas croire que j’ai un pouvoir magique sur la formation française. A mes yeux, la technicité devrait toujours être la priorité. Mais il y aura toujours des clubs qui auront d’autres vues que les miennes. Malgré ce handicap, on a quand même réussi à obtenir des résultats.
L’attente n’est-elle pas cependant trop élevée, compte tenu de la dévaluation de la L1?Non, l’attente est normale. Le problème, c’est qu’il faudrait prendre conscience que la France n’appartient pas aux grandes nations du football. Combien d’Anglais jouent à l’étranger? Très peu. Combien d’Espagnols évoluent en dehors de la Liga? Pas plus. Qui veut venir jouer chez nous en L1? Personne.
Les équipes nationales ne sont-elles pas en train de s’incliner devant la puissance des clubs?Sans doute. On s’aperçoit que les clubs prennent de plus en plus de place, et les sélections de moins en moins. En vérité, les Fédérations sont impuissantes à faire valoir leurs droits. Il n’y a qu’à considérer la place prise par la Ligue des champions. Tout le monde en rêve, il n’y a plus que ça qui compte, on oublie vite le reste.
Etes-vous plutôt un homme d’écoute ou un coach directif?J’aime bien que les joueurs dialoguent avec moi. Mais pour discuter avec moi, il faut avoir des arguments. D’une manière générale, j’évite de me poser des questions sur des sujets qui ne méritent pas d’avoir une autre réponse que celle que l’on connaît déjà.
Pourquoi faudrait-il toujours tout remettre en question? Après les campagnes désastreuses de 2008 et 2010, que peut viser la France lors de l’Euro à venir?De gagner un match, ce qu’elle n’a plus su faire dans un tournoi final depuis 2006. Ça commence à faire vieux. Il faut arrêter de croire que l’on est une grande nation de foot! La France est toujours en reconstruction, elle affronte des équipes qui ont plus d’expériences, qui sont déjà construites. Nous serons les favoris du groupe comme le seront aussi nos trois adversaires (ndlr: Suède, Angleterre et Ukraine).
En Ukraine, vous serez l’une des rares sélections à loger sur place, presque chez l’habitant. Pourquoi un tel choix logistique?L’équipe qui aura le moins de voyage en avion profitera d’une meilleure récupération. Je vous laisse imaginer dans quel état physique se retrouveront les équipes qui finiront leur match à 23 h en Ukraine et qui devront se rendre en Pologne pour dormir!
Le footballeur vit dans un cocon doré, coupé du monde réel. Compte tenu de l’image qu’il renvoie, doit-il pour cela être un exemple?Un sportif connu n’a pas la nécessité d’être un exemple. Pourquoi serait-il parfait alors que le monde qui l’entoure ne l’est pas? Ceux qui devraient montrer la voie sont les hommes politiques; or on s’aperçoit qu’ils sont loin d’être exemplaires. Ce n’est pas parce que l’on vit dans un monde d’image qu’il faut tout résumer à ça. L’image n’a aucune valeur à mes yeux. Ne laissons pas passer l’image avant l’humain. Le seul droit que je me revendique, c’est d’être un exemple pour mes enfants.
Depuis que vous êtes passé de l’autre côté, êtes-vous resté joueur?En pensée, oui. Mais, dès que j’enfile mes crampons, la vérité est cruelle.
En 1998, votre bise sur le crâne rasé de Barthez avant le coup d’envoi s’était imposée comme un rituel gagnant. Quatorze ans plus tard, quel sera votre signe de ralliement à l’Euro?S’il suffisait de faire un signe de reconnaissance pour avoir des résultats, ce serait trop facile…