Voici l'article en question. Attention, ça déménage.
"Jeudi 15, circuit de Losail, c'est l'heure de la première photo de famille du MotoGP au grand complet. Jacques, un fan de GP, ouvre de grands yeux :
C'est une composition graphique un peu bizarre, faite d'un Lorenzo se sentant obligé d'être là, prenant des poses d'acteur de cinéma, tantôt préoccupé façon Penseur de Rodin, tantôt singeant la réflexion intense. Lorenzo est une star, donc il est dans un personnage de star, sauf que ce n'est pas son métier, donc ça sonne gentiment faux.
Dans le même genre, il y a Kallio, qui prend la pose dès que tu le hèles pour photo.
"Mika, please !", et le voilà qui se tourne vers toi le pouce en l'air et le sourire fabriqué : tu sens qu'il répète ça cent fois par mois, t'as l'impression d'avoir mis 20 centimes dans la machine, le mec se fige dans son rôle de composition, puis revient aussi vite à sa vie normale pour continuer sa conversation. En même temps, tu tombes sous le charme du truc, c'est un show. Derrière, y a Canepa, le jeune premier, émouvant, un peu perdu dans les couloir de la grande école, qui suit Kallio à la trace.
Un qui ne pose plus du tout, c'est Pedrosa. Il est déjà anéanti, il est noir, il est tout seul, t'as l'impression qu'il se ballade avec un petit nuage au dessus de lui, c'est le Roger Gicquel de la moto, toute la tristesse du monde, le croque-mort de la bande, personne n'ose le suivre, il porte malheur.
Et, en même temps, t'as l'impression que tous ces gens-là surjouent leurs personnage, Pedro, il se met un masque dès qu'il sort du stand, une protection. Faut pas oublier qu'il mesure 1,20 m, qu'il est dernier sur la grille, qu'il va se faire virer du HRC, qu'il n'arrive pas à être champion du monde, c'est l'éternel espoir ; est-ce qu'il a le droit d'être gai à vivre ?
Puis tu vois arriver Vermeulen, avec son bob de ballot, pour moi, c'est le Grand Duduche, le personnage de Cabu, genre de benêt béat, mais avec ce petit côté sympathique et pas méchant, je l'aime bien.
Capirossi, c'est un exemple, c'est le plus vieux, un talent inouï, on l'a dit fini dix fois. C'est le type qui s'est fait virer de Ducati par un jeune inconnu, alors que c'est lui qui a développé la machine. Il a tout porté à bout de bras, a été mégabrillant, et, au moment où ça allait marcher, il disparaît et c'est un autre qui est consacré à sa place ; c'est le cocu de l'affaire.
Elias, est là, l'air sympa, un peu à côté de ses pompes, il plane, il n'est pas dans le circus, il semble là presque par hasard, il est invité, il repartira, il reviendra, il détonne un peu, et finalement, il a l'air moins cul-pincé que les autres.
C'est pas facile à dire, mais Melandri a l'air d'être un peu nigaud de l'affaire, ainsi que ce De Angelis, à peine fini, le jeunot qui bafouille encore avec ses dents bien en avant.
J'aime beaucoup Hayden, mais il a vieilli ; il a été beau mec, mais il a pris 10 ans en une année, il marche les lèvres pincées, on voit qu'il est en soucis, il est taraudé par le doute, il ne comprend pas pourquoi il ne s'en sort plus, même le rouge ne lui va pas. Quand j'ai vu Nicky Hayden, j'ai vu un mec malheureux, qui n'a même plus la force ou l'orgueil de le cacher.
Quand tu vois passer ces 18 pilotes devant toi en vrai, les formats surprennent aussi ; Stoner, c'est vraiment une brindille de 23 ans, quand tu le vois, tu te dis que ça doit pas être si dur de piloter ces trucs-là, il fait genre 47 kg et 1,35 m au garrot, c'est hallucinant. Et je parle même pas de Pedro, l'ado anorexique. Mais Stoner a l'air plutôt sympa, genre
"y a ça à faire, on y va !" En fait, il a l'air frais par rapport aux autres.
Edwards est assez nature, désinvolte même, voire souverain, Dovizioso plutôt à l'aise, Toseland genre planqué. Après, j'ai vu le Japonais Takahashi. Bon, c'est un Japonais, d'ailleurs, c'est à ça que je l'ai reconnu...
En deux ans, j'ai croisé deux fois De Puniet. Une fois devant son mobil-home, on regardait son Audi, il avait l'air assez sympa, un peu dans le doute, content qu'on le visite, un rapport assez convivial, voire amical et humain. Et là, j'ai vu une gravure de mode, avec le slip Billabong qui dépasse un peu, la tablette d'abdos, le sourire qui va bien, la mèche comme il faut, basculant la tête à droite à gauche pour les photos, prenant des poses par rapport aux éventuels spectateurs.
Valentino, c'est le sale gosse, l'enfant gâté, j'ai envie de l'appeler le Truqueur ; difficile de lui donner sa confiance. Il est séduisant, solaire, souriant à pleines dents, mais on sent un certain dédain pour les autres... En gros, il n'a rien à foutre du mec qui lui parle, d'ailleurs, il ne le regarde jamais ; il fait semblant d'être à toi avec de faux sourires pour la photo, mais il y a des trucs qui ne trompent pas, il ne regarde personne, regarde-le bien, il a l'oeil vide. Et puis, il y a son pote Uccio qui arrive, et sans dire un mot et sans le regarder, Rossi tend la main, l'autre ouvre le sac et sort lle casque. Rossi s'en empare et s'en va, toujours sans un signe, un regard, un mot. Je crois que Rossi est mangé par son personnage.
Et puis, il y a Gibernau, le revenant, qui l'air de beaucoup se vendre, beau look, beau gosse, grand sourire, genre pétant de santé d'un concours de mannequinat, qui la joue sûr de lui, mais qui doute. Avant qu'il ne s'installe pour la photo, j'ai surpris une espèce de fausse camaraderie entre lui et Rossi, les vieux potes du lycée qui se retrouvent
"enfin, te voilà !",
"mais oui, tu m'as manqué !", mais qui sonne bidon, entre eux y a comme un vieux différend de femme piquée à son pote, un sale souvenir qui serait la seule chose qui les unit. Gibernau joue le trop-content-d'être-réintégré-parmi-le-saint-des-saints-avec-l'aval-du-boss, et Rossi répond stratégique. C'est limite s'ils ne se sont pas roulé un patin, puis, subitement, ils se sont remis en position pour la photo, figés comme des statues."
Moto-Journal numéro 1853 du 16 Avril 2009, pages 59-61.