MOTOCYCLISME
Toni Elias, l’ibère patient
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Premier champion du monde Moto2 de l’histoire, Toni Elias rappelle que, même en Espagne, la course n’est jamais un long fleuve tranquille.
Jean-Claude Schertenleib - le 11 octobre 2010, 21h08
Le Matin
GP DE MALAISIE
Posez la question à tous les apprentis pilotes, qui font leurs classes dans différents championnats nationaux, qui y récoltent leurs premières cicatrices, leurs premiers succès, aussi; mais qui, surtout, ne reçoivent qu’à peine plus que la considération polie de quelques-uns: «Votre rêve?» Leur rêve, à ces apprentis champions? «Nous aurions tellement voulu naître ailleurs, en Espagne, là où il y a de l’argent pour la course, des circuits par dizaines, des structures efficaces, un championnat qui sert de vivier dans lequel vont se servir les propriétaires d’équipes en GP. Ah, Espagne, eldorado de la course motocycliste moderne!»
Les obstacles existent
Tout cela est vrai, bien sûr, mais tout cela ne doit pas occulter les difficultés, les obstacles qui se dressent sur le chemin qui mène au triomphe. Sacré champion du monde Moto2 dimanche en Malaisie, Antonio «Toni» Elias illustre parfaitement le phénomène, par son parcours chaotique, cette propension qu’ont eu les principaux décideurs du sport motocycliste espagnol à l’ignorer, à ne pas le considérer comme un tout grand, un réel espoir, un produit sur lequel on pouvait faire du chiffre d’affaires. Car c’est ainsi qu’est la course moderne.
Parce que Toni Elias est trop normal. Son histoire trop simple: il est né dans l’arrière-cour d’un garage moto tenu par son père, Antonio Senior, dix fois champion d’Espagne de motocross. Né en entendant déjà des moteurs, devinant dès qu’il est en âge de comprendre le discours des aînés, que sa vie, au gamin de Manresa, ne se fera pas sans cambouis, sans odeurs particulières. Chez lui, chez eux, les Elias, le virus fait partie de l’héritage génétique. Alors bien sûr, Toni se met à la pocket-bike, puis aux courses de scooters, «parce que le motocross, je le sais trop bien, c’est trop dangereux», raconte le père.
Comme tous les pères, il est bientôt persuadé que son rejeton est un doué, très doué même. Et il a raison. Voilà qu’Elias junior est intégré à l’ambitieux projet de formation d’Alberto Puig, avec l’aide de Honda Espagne et de sponsors puissants. En 2001, première année de l’aventure, Toni Elias termine troisième du championnat du monde 125, nettement devant un certain Daniel Pedrosa, son jeune compagnon d’équipe: l’homme qui, déjà, a été choisi pour devenir «le» champion de demain, un peu comme si on pouvait fabriquer le pilote parfait. Qui sait mettre des gaz, bien sûr, mais qui sait surtout se taire, se comporter. Ce sera Pedrosa, ce ne sera pas Toni Elias, trop franc, trop normal.
Toujours devant, jamais champion
Passé en 250 cm3, il est toujours aux avant-postes, mais jamais champion. En MotoGP, il commence dans le team satellite Yamaha, poursuit chez Honda avant de passer chez Ducati. Elias est alors l’homme des coups d’éclat en fin de saison, de nouveau critiqué parce que, disent les censeurs, il ne travaille sérieusement que lorsqu’il est obligé de se faire remarquer pour obtenir un nouveau contrat. En 2006, au Portugal, il bat pourtant Valentino Rossi à la régulière, mais cela ne suffit pas: trois ans plus tard, il n’y a plus de place pour lui chez les grands. Pourquoi? Il y a déjà trop d’Espagnols qui correspondent mieux au monde moderne. Fini, Elias? Non, il accepte de descendre en Moto2. Son expérience de la catégorie reine fait la différence. Le voilà titré, enfin, à 27 ans, dans une classe dont il dit lui-même: «Toutes les catégories sont difficiles, celle-ci a pourtant un plus de difficulté: il y a beaucoup de folie.»