LE MYSTERE STONER
En annonçant cet été son forfait pour trois courses, sans raison médicale précise, Casey Stoner a stupéfié tout le paddock. Qu'est-ce qui a donc poussé le champion du monde 2007 à rendre les armes alors qu'il était encore en lice pour le titre ? On a tenté de percer le mystère Casey Stoner.
Toutes les interrogations du paddock se tournent aujourd'hui sur l'avenir de Casey Stoner. Depuis l'an dernier, le champion du monde 2007 traverse une passe difficile : après la fissure de son scaphoïde (résultant d'une fracture en 2003) qui l'a handicapé sur la fin de saison et une partie des essais hivernaux, Stoner souffre depuis Barcelone d'un mal mystérieux, que les médecins ont d'abord attribué à un virus. Le Docteur Costa parlait de troubles gastriques et d'anémie au soir du GP de Barcelone, que Stoner a terminé difficilement en 3e position, avant de s'écrouler sur les marches qui menaient au podium. Au Grand Prix suivant, à Assen, le pilote australien assurait à nouveau un podium, mais à 23 secondes du vainqueur (Rossi). Très affaibli, il ne participait même pas à la conférence de presse après course. A Laguna Seca et en Allemagne, il échouait au pied du podium. Enfin, en Angleterre, un mauvais choix de pneus le reléguait en 14e position. Troisième au championnat, avec 37 points de retard sur Rossi et 12 seulement sur Lorenzo avant la pause estivale, Casey Stoner annonçait, juste avant le Grand Prix de la République Tchèque, son forfait pour trois courses.
Dans le communiqué de presse de Ducati, il expliquait les raisons de cette décision :
"Après cinq courses extrêmement difficiles en raison de mes problèmes de santé, je suis rentré en Australie pour consulter les médecins sportifs qui me suivent depuis plusieurs années. Nous avons pris la difficile décision de ne pas participer aux trois prochaines courses afin de permettre à mon corps de récupérer. Les médecins pensent que j'ai été sujet à un virus durant la course de Barcelone et que j'en ai trop demandé à mon corps à ce moment-là, ce qui a entraîné de gros problèmes de fatigue par la suite. On continue à faire des examens pour comprendre d'où viennent ces problèmes. Je ferai tout mon possible pour revenir au mieux de ma forme au Portugal."
Pourtant, manquer des courses pour cause de fatigue (même intense) n'est pas une habitude de pilote et encore moins le genre du garçon, dur comme un roc australien. A la clinique mobile, dont l'Australien n'est pas précisément un habitué, on s'étonne qu'aucun résultat d'examen n'ait été montré, ce qui fait craindre à un mal qui se situe plus dans la tête que dans le corps. Stoner n'a-t-il plus la force psychologique, actuellement, de courir au plus haut niveau ? Certains symptômes laissent le supposer selon les médecins de la clinique mobile. Pour le Docteur Claudio Macchiagodena, le médecin-chef des Grands Prix qui a accompagné Stoner lors des examens effectués en Californie après la course de Laguna Seca, le mal vient de loin : "
Casey est quelqu'un d'extrêmement introverti, il est fermé comme une huître. Son mal-être remonte certainement très loin, probablement à son enfance. Il est arrivé très jeune en Europe, mais aujourd'hui il n'arrête pas de dire qu'il n'aime pas la vie ici. Il ne voit que par l'Australie. Même en ce qui concerne l'alimentation, il se méfie de tout. Il reste tout le temps enfermé dans son motohome, avec sa femme Adriana. On ne le voit jamais avec des amis. Il n'a pas la vie normale d'un jeune de 24 ans, qui a de l'argent et une jolie femme. Il faut qu'il accepte qu'on l'aide, qu'il s'ouvre aux autres. Bref, il doit changer sa vie. C'est mon diagnostic médical."
Le diagnostic du Docteur Costa est encore plus inquiétant :
"Casey Stoner est un mystère. Il a une maladie, mais elle n'a pas encore été diagnostiquée. Si acune maladie n'est trouvée, alors elle est plus grave que toutes les autres car il s'agit de la maladie de l'âme. Il y a quelques années, il est arrivé une chose assez semblable à un autre grand pilote : Freddie Spencer. Après avoir gagné trois titres mondiaux et alors qu'il était au sommet de sa carrière, comme Stoner, il a disparu." Il est vrai que les similitudes entre Spencer et Stoner sont frappantes : une carrière fulgurante, un caractère introverti, limite paranoïaque, et puis une blessure qui rend les choses plus compliquées. En effet, après avoir remporté les titres 250 et 500 en 1985, Spencer a passé un hiver difficile, souffrant de son poignet cassé aux essais 250 Silverstone. Comme Stoner avec son scaphoïde. "Fast Freddie" a fini par mettre un terme à sa carrière de champion, malgré quelques retours infructueux jusqu'en 1993. Espérons que Stoner n'en soit pas là.
Mais, pour certains observateurs du paddock, le jeune australien n'est plus tout à fait le même depuis sa défaite à Laguna Seca, l'an dernier, face à Rossi.
"Il a vécu cette course et la victoire de Rossi comme une injustice, poursuit le Docteur Costa.
Avec son opération du poignet cet hiver et son immobilisation pendant quatre mois, il a rencontré des difficultés que tout grand pilote peut rencontrer, mais il a abandonné. Pour moi, il a abandonné dès le tour de formation du GP de Donington, lorsqu'il est rentré au box pour mettre des pneus pluie. Il a déposé les armes face au combat..."
Pour d'autres, le mal viendrait de toutes ces années de pression qu'il a accumulées. Entre 6 et 14 ans, Casey a remporté 41 titres nationaux (et 70 régionaux) de dirt track en Australie. Il porte ensuite le fardeau de l'avenir de sa famille (son père Colin, sa mère Bronwyn et sa soeur Kelly), qui a tout vendu et quitté en Australie pour lancer la carrière de Casey en Europe, puis celui de Ducati, qui a fait une machine qui ne gagnait qu'entre ses mains. A seulement 22 ans, Casey devenait champion du monde face à l'idole Rossi. S'il lui arrivait de saluer son talent, Rossi insistait surtout sur la puissance de Ducati ou sur la performance des Bridgestones. Si c'est de bonne guerre entre deux rivaux pour le titre, pour Casey, c'est devenu une injustice. L'Australien se braque peu à peu contre la presse (depuis le début de l'année, il refuse les interviews en tête à tête), contre les officiels
"qui changent de règlement toutes les 5 mn", contre ses adversaires (au pilotage
"souvent incorrect"), voire même contre les Européens (il ne parle qu'aux anglophones). Seul avec sa jeune épouse Adriana, il s'enferme dans son motor-home sur les paddocks et file dans sa ferme australienne dès qu'il le peut, où il retrouve la paix et la sérénité au milieu de la nature : pêche, chasse et cheveaux sont ses hobbies.
"Dès ses premières années en Grands Prix, Casey Stoner affichait déjà une double personnalité, dit Luccio Cecchinello, qui l'a fait courir de 2002 à 2006 (excepté 2004 où il était chez KTM).
En dehors du paddock, c'était un garçon aimable et souriant, mais sur les circuits, il a toujours semblé fermé car c'est quelqu'un de très sérieux, de très concentré. C'est quelqu'un qui aime la liberté et je pense qu'après toutes ces années, il ne supporte plus toute la pression que génère ce travail, notamment dans un team d'usine comme Ducati, avec de gros sponsors. Casey a commencé sa carrière très jeune, il est sur une moto neuf mois dans l'année depuis l'âge de 5 ans. C'est un métier qui consumme et il est déjà vieux dans le métier." Cecchinello pense que Casey reviendra
"mais je ne pense pas qu'il fera une carrière aussi longue que celle de Rossi ou Capirossi."
Contrairement aussi à la plupart des pilotes qui ont une grande carrière aujourd'hui, la particularité de Stoner est de ne pas avoir de manager ou d'homme de confiance.
"Il l'a toujours refusé, poursuit Lucio.
Sans connotation négative, c'est quelqu'un de sauvage. Son père s'occupait de tout au début, puis Casey a rencontré Adriana. Ils s'entendent vraiment très bien. Je pense que Casey a trouvé la sérénité dont il a besoin auprès d'elle."
Après tant d'années de compétition et après avoir attein ses objectifs (battre les meilleurs pilotes du monde et décrocher le titre), Casey Stoner n'a-t-il tout simplement plus la force pour atomiser ses adversaires ou la motivation pour les combattre ? S'est-il rendu compte que le niveau de ses adversaires était encore monté et qu'il ne pourrait pas piloter la Ducati plus vite qu'il ne le faisait déjà ? La difficile Desmosedici l'a-t-il usé physiquement ? Ou n'est-ce pas tout simplement un problème interne chez Ducati ? Autant de questions que tout le paddock se pose et auxquelles seul Stoner pourra répondre en revenant très vite ( ou malheureusement pas) chevaucher sa farouche italienne que lui seul, pour l'instant, sait emmener vers les sommets.