MOTOCYCLISME
Pilotes, attention: la TV vous surveille
Image © Keystone
Marco Simoncelli a fait l’objet d’une sanction pour une action en course. Est-ce un hasard ou est-il victime de la puissante colonie espagnole des GP?
Dimanche, au Mans, Marco Simoncelli a été sanctionné en raison d’un pilotage jugé dangereux. Sur la seule base des images de télévision. Cette punition devrait faire jurisprudence. Corollaire: le malaise enfle dans le paddock, où l’on craint des traitements différenciés.
Jean-Claude Schertenleib - le 17 mai 2011, 21h19
Le Matin
GP de France
Circuit Bugatti, au Mans, dimanche matin. Pendant le warm-up d’avant- course – une séance d’essais libres de 20 minutes qui permet de vérifier une dernière fois sa moto –, le Français Randy De Puniet ralentit pour contrôler quelque chose sur l’arrière de sa machine. Il voit alors que Casey Stoner déboule à grande vitesse et fait tout pour ne pas le gêner. L’Australien, fou de rage, se hisse un peu plus loin aux côtés du Français et lui assène un coup de poing sur l’épaule. Sanction pour ce geste qui salit l’image du sport et que l’on a pu voir sur tous les écrans de télévision? 5000 euros d’amende. Une paille pour un millionnaire.
L’action
Même lieu, dans l’après-midi. On est cette fois en pleine course et l’Italien Marco Simoncelli, intenable, revient sur l’Espagnol Daniel Pedrosa, deuxième place en jeu. Il le passe une première fois, Pedrosa contre, Simoncelli insiste et, de l’extérieur, surprend son adversaire dans une de ces actions considérées souvent comme impossibles, mais dont l’homme à la tignasse hirsute a le secret. Pedrosa actionne le levier de frein de sa Honda, la roue arrière se lève légèrement, il n’arrive pas à faire tourner sa machine dans ce virage à gauche, Simoncelli a passé. La roue avant de la moto de Pedrosa touche l’arrière de la moto de l’Italien, le pilote officiel de la marque se retrouve à terre (malheureusement avec une fracture de sa clavicule droite), Simoncelli, le nouvel empêcheur de tourner en rond, poursuit sa conquête. La puissante colonie espagnole des GP crie au scandale, la diaspora italienne de la course parle de coup de génie.
La sanction
C’est un de ces faits de course spectaculaires que la compétition motocycliste offre avec générosité, ce qui fait d’ailleurs son succès; cela va bientôt devenir une affaire, au parfum de scandale, d’iniquité. Parce que la direction de course, sur la seule base des images de la télévision, va infliger une punition («drive through», soit un passage à vitesse réduite par le couloir des stands) à Marco Simoncelli. Jusqu’à ce jour, cette peine était attribuée à celui qui anticipait son départ; ou qui ignorait un signal des commissaires de piste (comme la présentation d’un drapeau jaune, qui interdit tout dépassement à l’endroit où un accident vient de survenir). Jamais encore le pouvoir n’avait sévi pour une action en course.
La genèse
Dès l’arrivée au Mans, au milieu de la semaine dernière, certains pilotes – autour de Casey Stoner et d’Andrea Dovizioso – s’en sont pris au pilotage limite de Marco Simoncelli, un homme avec lequel il ne fait jamais bon être en bagarre directe, c’est vrai. Invitées à s’expliquer devant la Commission de sécurité, les différentes parties sont restées sur leurs positions: «On ressort soudainement l’une de mes erreurs de l’an dernier, simplement parce que, désormais, tous ces messieurs savent que je peux me battre pour la victoire», lance alors Simoncelli. Et Valentino Rossi d’ajouter, tout heureux de constater que l’intérêt se focalise sur d’autres: «On a affaire à des bébés. Si, à l’époque de mes bagarres avec Biaggi, Capirossi et Barros, l’un de nous avait réclamé, on se serait tous bien moqués du pleurnicheur.» Décision de ladite commission de sécurité: «Nous allons observer le comportement de tout le monde, pas seulement de Simoncelli.»
Le malaise
La promesse, on l’a vu, n’a pas été tenue. Pourquoi une sanction en argent pour une faute qui nuit à l’image et une punition en secondes pour une action qui a fait le bonheur de millions de téléspectateurs? Une fois encore, dans le paddock, une sale impression a ressurgi: l’égalité face à la justice de la course est-elle toujours garantie? Ou, pour être plus direct: le système qui gère les GP, composé et financé en grande partie par l’Espagne, n’est-il pas plus sévère avec ceux qui font du mal à la plus importante équipe de la classe MotoGP, le team Honda (Stoner, Pedrosa, Dovizioso) qui porte les couleurs de Repsol, le géant hispanique des hydrocarbures? La question mérite d’être posée.
COMMENTAIRE
Jean-Claude Schertenleib
Qui paie commande
A chacun sa formule préférée. Moi, c’est celle-ci: «Au bistrot, celui qui commande paie; dans la vie, c’est toujours celui qui paie qui commande.»
Intégrer le contrôle du comportement des meilleurs pilotes du monde via les images de la télévision, c’est une première dont le sport motocycliste aurait dû se passer. Parce qu’elle est faite d’actions à couper le souffle, de dépassements osés, d’erreurs parfois certes grossières, mais irréparables dans les faits, cette discipline sportive a pris une place de choix dans l’offre toujours plus vaste du sport spectacle moderne.
Si elle entend la conserver, elle doit tout faire pour protéger ses différences.
Elle ne peut certes pas permettre n’importe quoi, puisqu’il en va de l’intégrité physique d’êtres humains. Mais elle doit, grâce à un pouvoir sportif plus fort, s’affranchir d’une totale dépendance face aux principaux pourvoyeurs de fonds qui financent aujourd’hui le spectacle. Ce travail doit être celui de la Fédération internationale, qui cède les droits commerciaux de ses principaux championnats à des compagnies commerciales, mais qui conserve tout le pouvoir sportif. Enfin, qui devrait le conserver.
INTERVIEW
Carlo Pernat - Manager de Simoncelli : «Marco doit apprendre la patience»
Carlo, vous êtes le conseiller d’un pilote très controversé, Marco Simoncelli. Que vous inspire cette affaire?
Marco doit apprendre la patience. Je le lui ai répété après la course, j’espère qu’il a compris.
La patience en course?
Oui. Parce que ce dimanche, il était nettement plus rapide que Pedrosa. Donc il n’avait qu’à attendre un endroit moins difficile pour placer sa nouvelle attaque.
Mais cette attaque, est-elle correcte ou incorrecte?
A chacun de se faire une idée. Personnellement, j’ai toujours aimé les pilotes de caractère.
Et la sanction?
La seule chose réussie, dans toute cette opération, c’est d’avoir exigé réparation immédiate, plutôt que de sévir après l’arrivée. Maintenant, si l’on décide qui gagne et qui perd une course en regardant ce qui se passe à la télévision, je me dis qu’on s’éloigne sérieusement de l’esprit du sport.
Vous avez donc peur que la loi du talion ne soit pas toujours respectée?
Vous avez une autre question?
Le poids de l’Espagne est-il trop important sur les GP modernes?
Je vous répondrai par une formule connue: demandez-vous toujours à qui profite le crime!
Propos recueillis par J.-C. S.