MOTOCYCLISME
L’ivresse du Tourist Trophy
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Le Genevois Hervé Gantner a découvert l’épreuve l’an dernier: le coup de foudre a été immédiat.
Le TT est une course anachronique, pour laquelle la statistique la plus soigneusement tenue est celle du nombre de morts qu’elle a déjà provoquées. Un Suisse, le Genevois Hervé Gantner, est tombé amoureux de cette épreuve.
Jean-Claude Schertenleib - le 02 juin 2011, 20h44
Le Matin
Il y a d’abord ce chiffre, qui fait passer le frisson: 231 morts, répartis entre les différentes courses du Tourist Trophy et celles, sur le même tracé routier, du Manx Grand Prix. Il y a, ensuite, ces images: des motos qui décollent des deux roues à plus de 280 km/h, des virages serrés sur des petits ponts, entre deux murs de pierre de taille. Ces localités traversées pleins gaz. On raconte ici que l’année où la course avait dû être annulée, en raison d’une grève des bateliers, la population de l’île de Man, quelque part en mer d’Irlande, avait sombré dans la dépression.
Le Tourist Trophy, c’est l’antithèse de la course moderne. Un circuit de 60 kilomètres qui passe des bords de mer à la montagne, 270 virages, des vitesses de pointe ahurissantes. Un piège dressé par la mort? Une passion? Une course pour suicidaires? «Le TT a une réputation qui efface malheureusement tout son charme», explique Hervé Gantner. Le Genevois a découvert l’épreuve l’an dernier, et il en est revenu conquis: «Le premier jour d’essais, quand je suis redescendu de ma moto, j’avais l’impression d’être ivre, je n’arrivais plus à marcher droit. Les deux premiers jours, mon cerveau n’arrivait pas à suivre ce que j’exigeais de lui. Puis, peu à peu, tout se met en ordre. Et alors, c’est un plaisir fascinant.»
Une règle: le respect
Reste que les virages de l’île ont tué. Dès 1911, la première année où le circuit de «Mountain» a été utilisé. «La beauté de cette course, unique, fait oublier les morts. Mais pour survivre, une seule règle: il faut avoir un immense respect pour ce tracé. Il ne faut pas croire que l’accident n’arrive qu’aux autres, car c’est trop tard. Ce n’est pas une course de fous, c’est juste un immense travail», reprend le Genevois. «La clef, c’est bien sûr la précision; comme le circuit est très rapide, la moindre faute est immédiatement sanctionnée.»
Un autre monde. Vestige d’un autre temps, celui où la plupart des pistes empruntées par les chevaliers modernes étaient faites de routes naturelles: «Prenons l’exemple des nombreux sauts: j’ai pratiqué un peu le motocross dans ma jeunesse, mais au TT, les sauts se présentent à 280 km/h. Plus tu ouvres les gaz, plus l’envol est lointain. Tout cela, il faut le digérer.» Le digérer, pour éviter toute intoxication. Alors, pour les «rookies», les débutants, un programme complet d’accompagnement est proposé par les organisateurs: «Des pilotes qui ont l’expérience du circuit nous emmènent sur la route, par groupes de cinq ou six, et il faut suivre. Eux, ils font cela naturellement, ils se retournent pour être sûr que tout le monde suit. Et peu à peu, le rythme augmente. Ces gars pourraient couvrir la soixantaine de kilomètres du tracé dans le noir, ou les yeux fermés. Ils sentent la route, ses difficultés, ils savent où se trouve chaque plaque d’égout. Chaque piège.»
Quand il raconte, Hervé Gantner a les yeux qui brillent, preuve que la magie de l’endroit et l’ampleur du défi l’ont touché depuis longtemps: «Pour les stars, ceux qui gagnent, il n’y a aucune marge de manœuvre. Pour nous, pilotes amateurs, c’est différent. Mais c’est tellement enivrant. Et puis, en une semaine de TT, on roule beaucoup si on participe aux cinq courses proposées, tout cela pour des coûts bien moindres que ceux que nécessite la participation à une simple course d’un championnat national.»
Un pèlerinage
Et le TT, c’est aussi un étonnant pèlerinage, qui attire la foule chaque année. On dort chez l’habitant, on boit des pintes de bières dans les bars, on parle moto, on vit moto pendant une semaine. Cette année, une cinquantaine de personnes vont vivre l’aventure autour d’Hervé Gantner, seul Suisse au départ de l’épreuve: «Si je peux faire découvrir cette course à d’autres, c’est formidable, car il n’y a qu’un seul moyen pour comprendre que le TT, ce n’est pas seulement sa statistique de pilotes tués, c’est venir le vivre. Une fois au moins.»
Les premières courses (superbike et side-cars) sont programmées demain samedi. Il y en aura d’autres, mardi, mercredi et vendredi. Les vainqueurs seront Britanniques, on le sait déjà. Ce qu’on ne sait pas, c’est à quoi ressemblera la fameuse statistique dans dix jours.