Le plus grand
TENNIS | Vainqueur du tournoi de Roland-Garros, Roger Federer égale le record de succès en Grand Chelem de Pete Sampras (14 titres), mais en gagnant sur toutes les surfaces. Il entre définitivement dans l’Histoire du sport, affolant les statistiques et régalant le public.
© AP | Vainqueur des Internationaux de France, Roger Federer a encore quatre défis à relever au cours de sa carrière. Remporter une 15e couronne en Grand Chelem, pour faire mieux que Sampras; redevenir No 1 pendant 50 semaines afin de battre le record du Californien avec 286 semaines en tête de la hiérarchie; soulever la Coupe Davis et remporter l’or des JO de Londres 2012 en simple. Pour y parvenir, il pourra compter sur le soutien de Mirka, omniprésente à la Porte d’Auteuil.
BERNARD ANDRIÉ PARIS | 08.06.2009 | 00:03
Le ciel n’est pas tombé sur la tête de Roger Federer. Même attendu par tout un peuple, son sacre à Paris n’était pourtant pas couru d’avance. Mais le – désormais – plus grand joueur de l’Histoire du tennis n’a pas laissé planer le suspense très longtemps. La «faute» à sa maîtrise au service (65% de premières balles, 16 aces, 2 balles de break à sauver seulement), sa science du jeu, sans oublier la nervosité de Robin Söderling, rattrapé par l’importance de l’événement (6-1 7-6 6-4).
Etreint par l’émotion et les yeux embués, Roger Federer était le plus heureux des hommes sur ce Central, que l’on croyait maudit pour le Bâlois. Sous les yeux de Mirka, son épouse, son cœur chavirait de bonheur à l’unisson de celui des 15 000 spectateurs qui ont pris fait et cause pour lui. Avec désormais 14 titres du Grand Chelem à son palmarès, il rejoint Pete Sampras dans la légende. Voyez comment.
Parcours difficile
L’élimination de Rafael Nadal – le maître des lieux – ajoutée à celle de Novak Djokovic, n’a pas forcément rendu service à Roger Federer. Le boulevard annoncé a failli se transformer en coupe-gorge. Orphelin de son meilleur ennemi, le Bâlois a ressenti un immense vide. Et surtout une monstrueuse pression. Car l’opposition a refusé de rendre les armes sans combattre, comme elle le faisait au temps de la splendeur de Roger Federer. «On ne rentre plus sur le terrain en se disant que l’homme est imbattable», rappelait Gaël Monfils.
Ecrire l’Histoire
Roger Federer est incollable sur l’Histoire du tennis. Sa passion du jeu et le respect qu’il porte aux champions du passé ont jalonné ses exploits sportifs. Ça tombe bien, l’homme a toujours rêvé de laisser une trace. «Ce qui me motive aujourd’hui, déclarait-il en 2008 dans un entretien accordé à
L’Equipe Magazine, c’est d’écrire encore de belles pages de l’Histoire du jeu. Cette envie-là est quelque chose d’important pour moi.» Le livre n’est pas encore refermé.
Sur le déclin?
Roger Federer a longtemps vécu sur son petit nuage. Avec ce sentiment bizarre de flotter sur l’eau. Un sentiment que les champions d’exception connaissent bien. Après deux années folles – et deux petits Chelems à la clé en 2006 et 2007, ajoutés à celui de 2004 –, la mononucléose a coupé net son élan. D’un coup, le monstre qu’il avait contribué à fabriquer a repris visage humain. «Parfois, je me sentais dans un autre monde, glisse-t-il. Je volais de victoire en victoire et c’était devenu une habitude. Or c’était tout simplement irréel.» On a alors parlé de déclin. «Ce sont des conneries», a-t-il répondu. Il est vrai que sa saison 2008 – avec un titre (US Open) et deux finales (Paris et Wimbledon) dans les tournois du Grand Chelem – aurait fait le bonheur de beaucoup de joueurs.
Un nouveau visage
Une nouvelle génération de joueurs talentueux et multisurfaces est arrivée sur le circuit. Le temps où Roger Federer remportait tous ses matches en Grand Chelem avec facilité appartient définitivement au passé. Le Bâlois a appris à gagner dans la douleur. A cet égard, la cuvée 2009 de Roland-Garros a contribué à donner une nouvelle dimension au personnage. «Roger n’essaie plus de jouer le plus grand tennis de sa vie à chaque match, constate Mats Wilander dans la chronique qu’il livre à
L’Equipe, mais à se frayer un chemin vers la victoire. C’est tout différent.» Durant la quinzaine, Roger Federer a plus souvent enfilé le bleu de travail que son habit de lumière. Il a aussi ajouté une (nouvelle) arme fatale à sa panoplie: cette balle amortie «que, disait-il, je délivrais dans la panique à l’époque et que j’ai transformée aujourd’hui en coup gagnant.»
Jusqu’à quand?
Roger Federer est suffisamment intelligent et réaliste pour appréhender le jour où tous les clignotants s’afficheront au rouge. Et que le temps sera venu pour lui de poser ses raquettes. Ce moment délicat à négocier dans la vie d’un champion – retraité en pleine force de l’âge – n’est pas d’actualité. Le Bâlois se verrait bien jouer jusqu’à 35 ans. Sauf que quelques petites phrases, lâchées ici et là par l’intéressé – «Il y a des jours parfois où je me sens fatigué, où je n’ai pas envie de jouer et de voyager» – rappellent que la vérité d’un jour n’est pas forcément celle du lendemain. Encore que Roger Federer a toujours affirmé qu’il ne voyait pas pourquoi la lassitude remettrait en cause son envie de jouer.
«J’espère battre de nouveaux records»
– Roger, qu’est-ce qui est le plus fort, remporter 14 titres du Grand Chelem et égaler le record de Pete Sampras ou gagner sur toutes les surfaces comme l’a fait André Agassi?
– Les deux choses sont incroyables. Jamais je n’avais imaginé me fabriquer un tel palmarès. Quand j’étais gosse, je pensais seulement gagner une seule fois Wimbledon. Et j’en ai déjà remporté cinq!
– En gagnant à Roland-Garros après trois tentatives infructueuses, êtes-vous soulagé d’avoir gommé une anomalie de l’Histoire?
– Je ne me suis jamais découragé. Même après mes trois défaites d’affilée contre Rafael Nadal en finale… Je savais qu’il ne pourrait pas gagner à tous les coups ici.
Et que mon tour viendrait peut-être. Mais c’est tellement grand ce qui m’arrive aujourd’hui qu’il me faudra peut-être plus de temps qu’un autre tournoi pour réaliser
ce que je viens de faire.
– Aujourd’hui, avez-vous la prétention d’être devenu le plus grand joueur de toute l’Histoire du tennis?
– C’est déjà très flatteur de faire partie du cercle des élus. Mais je ne suis pas sûr qu’on pourra un jour désigner le plus grand. Ce n’est en tout cas pas à moi de juger. C’est aux autres de décider si je suis très grand, grand, moyen, ou simplement petit…
– Avez-vous un moment douté de revenir à votre meilleur niveau après la mononucléose qui vous a frappé l’an passé?
– J’ai perdu mon rang de No 1 mondial, c’est vrai! Mais je ne suis pas descendu dans les bas-fonds du classement. Bien sûr, ça a été dur de perdre
la finale de Wimbledon 2008, puis celle de l’Open d’Australie 2009 contre Rafael Nadal. Je suis quelqu’un qui aime faire face aux difficultés. Et relever les défis. A l’avenir, j’espère battre de nouveaux records. Je ne pense pas encore à la retraite.
– Dernière question, sur la balle de match, quel était votre état d’esprit?
– J’espérais d’abord que le retour de Robin Söderling s’écraserait dans le filet
(rires). Non, plus sérieusement, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire après le point de la victoire. Courir autour du terrain, m’allonger sur le court ou ne rien faire du tout! Je n’avais jamais rêvé à ce moment-là.
B. A.