MOTOCYCLISME
Le génie est décidément bien proche du mal
Image © Keystone
Ce week-end, en Catalogne, Johann Zarco (à g.) a été sanctionné parce qu’il a dépassé Nicolas Teról (à dr.) en le poussant un peu dans l’herbe.
Comment faire la différence entre une action que l’on va citer en exemple, parce qu’elle rassemble génie et courage, et une autre que l’on va sanctionner, parce qu’elle est considérée au-delà des limites?
Jean-Claude Schertenleib - le 06 juin 2011, 20h54
Le Matin
GP de Catalogne à Montmeló (ESP)
Après Marco Simoncelli vs Dani Pedrosa (GP de France MotoGP), voici Johann Zarco contre Nicolas Teról (dernier virage du GP de Catalogne 125 cm3). La sanction (20 secondes) infligée par la direction de course au jeune Français, qui croyait avoir remporté son premier GP de championnat du monde, a attisé les passions, dimanche soir, dans le paddock du circuit Catalunya. Un paddock partagé entre ceux qui crient à l’action géniale et les autres, qui parlent d’une agression avec risques supérieurs.
Qu’ils soient pro ou anti-Zarco; pro ou anti-Simoncelli, les acteurs, les observateurs et les spécialistes sont unanimes sur un point: l’esprit même de la course – donc du spectacle – va changer si les pilotes se savent, dorénavant, surveillés en permanence par des yeux inquisiteurs. Des regards abreuvés par les images de la télévision et celles qui proviennent du système interne de caméras qui couvrent chaque mètre d’un circuit moderne. Ce changement radical, historique, pose toute une série de questions.
1. Un spectacle, pour être vendu dans le monde entier, doit-il nécessairement être «propre en ordre»?
Le sport motocycliste est désormais un produit planétaire, qui génère de fortes retombées médiatiques, donc financières. Depuis le milieu des années 1980, on a commencé de «nettoyer» cette caravane d’artistes itinérants du spectacle et de la douleur, de lui donner un cadre plus strict, de la polir tout en la poliçant. Moins de cambouis, plus de glamour, adieu courageux chevalier fauché mais si riche d’une passion, bonjour Paris Hilton. Cette modernisation interne au paddock n’a pas eu, jusqu’à présent, d’influence sur le spectacle proposé en piste, si ce n’est la raréfaction des concurrents dans la catégorie reine. Devenue plus présentable, la compétition motocycliste à son plus haut niveau est du même coup devenue un produit à succès. Le problème, c’est que ce succès est justement dû à quelques génies et à quelques-uns de leurs meilleurs coups. Et que sans ces fameux coups, la valeur marchande de ce produit va rapidement diminuer.
2. Que demande le peuple?
Pourquoi se voiler la face? Pourquoi ne pas avouer que le succès exceptionnel de la catégorie Moto2, comme celui de la classe 125 cm3 – ils ne sont malheureusement plus assez en MotoGP pour offrir des courses d’une intensité aussi élevée du premier au dernier tour – provient notamment des risques importants que prennent les acteurs, qui s’affrontent au guidon de machines très proches l’une de l’autre? Il y a un voyeur derrière chaque être humain, donc derrière chaque spectateur. Chacun, en tous les cas dans son subconscient, attend la scène qui lui permettra de retenir sa respiration quelques secondes, en espérant bien sûr que tout se termine sans grand mal pour les acteurs: «Aucun pilote n’aime se faire mal», répète à l’envi Thomas Lüthi, «et aucun d’entre nous ne désire faire du mal à l’autre. Alors bien sûr, des fois, cela se passe moins bien, mais nous en assumons les risques.»
3. Qui est en droit de juger?
D’un côté, on désire un produit le plus présentable possible, de l’autre on se réjouit des actes de folie qui peuvent surgir à chaque instant de la piste. Qui, dès lors, est en droit de juger si telle action mérite une punition et telle autre doit être considérée comme un coup de génie? «C’est là que se pose tout le problème, avoue Randy Mamola, l’ancien trublion des GP 500, devenu l’analyste le plus respecté de la course moderne. Où est la limite en compétition? Dans le cas qui nous intéresse, je pense que si Johann Zarco n’avait pas écarté son coude quand il s’est retrouvé à côté de Teról, il n’aurait pas été sanctionné.»
4. Deux poids, deux mesures?
Quand Valentino Rossi place une attaque victorieuse, au même endroit, sur Jorge Lorenzo (GP de Catalogne 2009), on crie au génie. Quand un jeune Français rempli de talent s’inspire du maître pour tenter de battre un adversaire qu’il sait mieux armé que lui sur le plan technique – «On s’est retrouvés sur les vibreurs et il a fallu jouer des coudes, car comme il avait une meilleure moto que moi, il m’aurait repris sur la ligne», dixit Johann Zarco à propos de Nicolas Teról) – on le voue aux gémonies. Deux poids, deux mesures? Puisque le jugement ne peut être qu’humain, il y aura toujours des versions contradictoires autour d’une même action. Celle de l’un – «On joue la gagne, je trouve normal qu’on joue des coudes», dixit Zarco; celle de l’autre – «J’étais désemparé après l’arrivée, mais je me suis dit qu’un dépassement comme ça ne pouvait pas être permis», dixit Teról; et enfin la troisième, qui emprunte un peu des deux. Mais qui jamais ne sera vérité absolue.
Des juges de plus en plus occupés
15 mai
GP de France MotoGP
Pendant le warm up – une séance d’essais libres de 20 minutes qui précède la course –, Casey Stoner, gêné par la moto de Randy De Puniet (le Français vient de se retourner pour contrôler quelque chose) se hisse à la hauteur de son antagoniste et lui donne un coup de poing sur le bras.
Cela sous les yeux des caméras. Sanction: une amende pécuniaire de 5000 dollars, qui n’a aucune influence sportive.
15 mai
GP de France MotoGP
Nettement plus rapide que son adversaire espagnol, l’Italien Marco Simoncelli dépasse une première fois Dani Pedrosa, qui contre. Le Transalpin tente une seconde action, à l’extérieur dans un virage à gauche; quand il se rabat, il coupe la trajectoire de l’Espagnol, qui ne peut éviter la chute. Sanction: drive through, soit un passage par le couloir des stands à vitesse limitée. Conséquences: Pedrosa, en tombant, se fracture sa clavicule droite et les réactions à chaud des différentes parties ont des suites policières, puisque Simoncelli reçoit des menaces de mort en provenance d’Espagne.
Ce week-end, il était accompagné en permanence de gardes du corps et, après avoir brillé lors des essais, il n’a été que l’ombre de lui-même en course, tant il se savait observé par les juges.
5 juin
GP de Catalogne 125
Le Français Johann Zarco est le seul à suivre le rythme du grandissime favori pour le titre, l’Espagnol Nicolas Teról. Celui-ci, sûr de sa domination et de son avantage technique, fait même signe à son adversaire de prendre la tête dans les derniers tours. Zarco sait qu’il n’a qu’une occasion pour tenter de gagner: le surprendre dans l’ultime virage, comme Rossi l’avait fait aux dépens de Lorenzo il y a deux ans. Teról s’attend à l’attaque, mais Zarco s’infiltre dans un trou de souris, avant d’être logiquement déporté vers l’extérieur. Les deux hommes sont sur le vibreur, le Français sort le coude, Teról, paniqué, se retrouve dans l’herbe, mais il reste sur sa moto. Sanction: 20 secondes de pénalité (l’équivalent d’un drive through), Zarco se retrouve sixième du GP.
5 juin
GP de Catalogne Moto2
Le Turc Kenan Sofuoglu tente une manœuvre désespérée contre l’Espagnol Julian Simón. Simón est éjecté de sa moto, il retombe lourdement au sol. Sofuoglu n’évite pas la chute. Sanction: les deux hommes, qui étaient à l’hôpital au moment où la direction de course s’est penchée sur leur cas, sont attendus devant les juges jeudi à Silverstone. Conséquences: comme Julian Simón souffre d’une double fracture tibia-péroné, seul le présumé coupable devrait être présent.
J.-C. S.