Jim Courier: «Roger Federer joue dans une ligue à part»
Open d’Australie - Entretien avec l’ex-numéro un mondial américain.
Melbourne/OLIVIER BREISACHER
Publié le 24 janvier 2007
«Une solide bataille. Mais, comme d'habitude, Roger Federer s'est facilement habitué au contexte, au vent et à l'adversaire.» Tel est le premier commentaire de Jim Courier après la qualification sans bavure du Bâlois (6-3 7-6 7-5 face à Tommy Robredo) pour les demi-finales de l'Open d'Australie.
Roger Federer au micro de Jim Courier © KeystoneSur les courts de Melbourne Park et au micro de Channel 7, la télévision productrice de l'événement, l'Américain est l'un des principaux analystes de la quinzaine tennistique. Son franc-parler fait parfois jaser, ses interventions en direct sur le court au terme des matches sont souvent empreintes d'humour auprès des as de la raquette. A 36 ans, Jim Courier, No 1 mondial durant 58 semaines à partir de 1992, n'a rien perdu de son culot, la casquette en moins, le costume noir en plus.
Ancien double vainqueur à Melbourne (1992, 1993) et Roland Garros (1991, 1992), retraité depuis 1999, le rouquin de Floride ne cache pas son admiration pour Roger Federer. Ou quand un océan peut séparer l'actuel No 1 mondial de ceux qui l'ont précédé dans ce même fauteuil. Confidences…
Jim Courier, que devenez-vous aujourd'hui?
Un homme heureux dans sa reconversion et qui est resté présent dans le monde du tennis. En dehors de mes activités ponctuelles de consultant TV durant les Opens d'Australie et de Flushing Meadows, je suis à la tête d'une société qui a créé le «Champions Circuit» aux Etats-Unis (ndlr: une sorte de Senior Tour), organisant des tournois avec des joueurs, tels McEnroe, Ivanisevic, Chang, Martin, Wilander et beaucoup d'autres.
En quoi le tennis a-t-il changé depuis votre retraite?
Un point essentiel: la force des coups est bien mieux contrôlée. Désormais, les joueurs sont capables de maîtriser toute la puissance que leurs raquettes peuvent leur procurer techniquement. Frapper comme une mule n'est pas nouveau, mais aussi précisément si.
Et par rapport au circuit?
Nous vivons une période particulière. La différence porte un nom, Roger Federer, joueur unique comme il n'en a jamais existé. Depuis trois ans, il évolue dans une ligue à part. Je n'ai pas souvenir d'avoir assisté à pareille maîtrise technique par le passé. Depuis le début de l'ère open, aucun homme n'a autant étouffé les autres que lui. Même chez les femmes, même au sommet de leur art, même lorsqu'elles remportaient de nombreux tournois, Martina Navratilova et Steffi Graf n'avaient pas fait à ce point le vide autour d'elles.
Cette domination va-t-elle durer?
A le voir jouer, par exemple à Melbourne, tout indique qu'il n'est pas près de s'arrêter en si bon chemin. Mais restons prudents, personne ne peut prédire le futur: Federer est l'homme à battre pour tous et n'est pas à l'abri de pépins de santé.
Comment jugez-vous son plan de carrière?
Jusqu'à présent, il a plutôt été épargné par les blessures. Roger établit minutieusement son programme, et pas seulement sur le court terme. Il ne prend part qu'à un nombre bien défini de tournois, ne dispute que rarement des exhibitions et fait l'impasse sur la Coupe Davis. On voit bien qu'une routine s'est établie et qu'il y tient. Mais sans sa technique et son talent inné, cela ne serait pas suffisant.
L'an passé, plusieurs joueurs vous avaient reproché de le qualifier, déjà, de meilleur joueur de l'histoire…
J'avais été mal compris. J'avais déclaré, et je maintiens, que Roger est le tennisman le plus complet de tous les temps. Quant à savoir s'il sera le meilleur de l'histoire, seuls les records et les résultats en décideront.
Lesquels?
Ils sont de trois ordres: dépasser les 14 titres de Sampras en Grand Chelem, rester au moins six ans classé numéro un mondial et… remporter Roland Garros.
En tant qu'ex-vainqueur de Roland Garros, le croyez-vous capable de s'y imposer?
Roger est clairement le No 2 mondial sur terre battue. Ce qui signifie logiquement qu'il peut miroiter le rang supérieur. Ce ne sera pas aisé, mais qui a prétendu que cela devait l'être? La force de Rafael Nadal est une chance pour Federer, un challenge vraiment palpitant!
Roddick attend le Bâlois de pied ferme
«Au suivant!» Depuis le début des Internationaux d'Australie, Roger Federer est toujours prié de s'exprimer longuement sur son prochain adversaire. Celui qu'il vient de battre ne fait que rejoindre une longue liste de ses victimes balayées en trois sets. Et fait partie du passé…
Tommy Robredo (No 7 mondial) n'échappe pas à la règle. Refrain archi-connu, le maximum qu'il aurait pu espérer (de son propre aveu) aurait été la quête d'une manche. Surtout lorsque vous vous permettez de ravir, avec les aléas du vent, le service du maître à cinq reprises. Le patron du tennis mondial, lui, cherche à rendre hommage à son rival, «le premier membre du Top-10 à se dresser sur sa route.» Mais dans la foulée, il doit bien admettre qu'avec le dernier Wimbledon (finale exceptée), la cuvée actuelle de Melbourne est certainement celle qui lui a causé le moins de tourments jusqu'à ce stade.
Ce qui pourrait bien changer avec le choc tant attendu face à Andy Roddick qui s'est qualifié encore plus aisément que le Suisse en exécutant son pote Mardy Fish 6-2 6-2 6-2. Roger Federer mène 12 à 1 dans les confrontations directes, mais il n'a pas oublié son seul revers, en août 2003 à Montréal, qui l'avait empêché de s'emparer du rang de numéro un mondial.
Le cogneur américain au service ultra-performant croit en ses chances. «L'écart entre Federer et moi s'est réduit ces derniers mois», lâche-t-il. Le protégé de Jimmy Connors a sérieusement inquiété le Bâlois en finale de l'US Open, a galvaudé trois balles de match au Masters de Shangaï et a enlevé la finale de l'exhibition de Kooyong voici deux semaines. «Je suis impatient d'en découdre avec Roger», affirme Andy Roddick.
(olb)
«Les Suisses blasés?»
Jim Courier, qui peut battre Federer à Melbourne?
En début de tournoi, j'avais ouvertement cité trois hommes qui, à mon avis, possédaient les meilleures chances. Soit Nadal, Roddick et Blake. Deux sont encore en course. Mais, entre nous, je ne miserais pas sur eux contre Federer.
Au classement mondial, Nadal est largement derrière Federer. Les autres poursuivants encore plus loin. Lui sont-ils à ce point inférieurs?
Il ne faut pas voir le problème sous cet angle. D'autres membres de l'élite auraient raflé plusieurs titres majeurs ces dernières années, sans la présence de qui vous savez. En ouvrant ses yeux, on remarque vite que c'est Federer qui relève de l'exception, et non les autres qui se situent à un niveau inférieur.
L'intérêt général pourrait-il en pâtir?
Un peu, oui. Le tennis est un sport individuel qui a toujours vécu des grandes rivalités. Il en a beaucoup plus besoin que le football, le basketball ou d'autres sports collectifs. Federer joue pour la Suisse, mais cela ne se remarque pas trop…
Que voulez-vous dire?
A Melbourne, je ne vois pas énormément de soutien local, de banderoles, de maillots ou de drapeaux suisses. Comme si les Suisses étaient un peu blasés et prenaient pour acquis ses exploits à répétition. Ils devraient se rendre compte de la chance incroyable qu'ils ont de posséder un tel champion qui défend leurs couleurs dans le monde entier.
Depuis le début de la saison, tout le monde évoque la nouvelle génération. Et vous?
Ils trouvent leurs marques, leur talent est facile à déceler. Mais il est plus dur de percer la muraille intérieure: que valent-ils vraiment au niveau mental et de la volonté? Ont-ils suffisamment de cœur pour franchir un cap décisif? Il existe toujours un seuil infranchissable pour un joueur talentueux mais sans mental résistant. Prenez l'exemple de Guillermo Coria, l'un des meilleurs joueurs du monde sur terre battue il y a encore trois ans, mais qui ne peut plus gagner un match aujourd'hui. Il a perdu tout son capital-confiance.
Quels sont les joueurs les plus charismatiques du circuit?
Il y en a vraiment plusieurs En dehors de Federer, je citerais arbitrairement Roddick, Safin et Blake. Parmi les nouveaux venus, Gaël Monfils a une forte personnalité.
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