Alinghi lève le voile sur son maxicatamaran
VOILE | Après huit mois de construction au chantier de Villeneuve, le multicoque est prêt pour la mise à l’eau mercredi.
© GEORGES CABRERA | Rolf Vrolijk, designer principal d’Alinghi, nous ouvre les portes du chantier naval et nous dévoile Alinghi 5, l’un des secrets les mieux gardés de la planète.
Liens en relation avec l'article :
Pierre Nusslé | 04.07.2009 | 10:00
La zone industrielle de Villeneuve se réveille au petit matin. C’est ici, au pied du vignoble chablaisien, qu’Alinghi a installé son chantier pour la construction d’un multicoque géant, prévu pour affronter le Défi américain BMW-Oracle en février 2010, pour le compte de la 33e America’s Cup. Rolf Vrolijk, designer principal d’Alinghi, nous ouvre les portes du trésor le mieux gardé de la planète! On ne sent pas chez lui d’angoisse particulière à quelques jours de la mise à l’eau du maxicatamaran
Alinghi 5. Car c’est bien d’un «multi» à deux coques qu’il s’agit, contrairement au trimaran géant sorti il y a un an par BMW-Oracle.
Depuis le temps qu’on attendait ce moment, le cœur bat la chamade. C’est le choc! Un «monstre marin» jalousement caché sous une énorme tente blanche livre enfin une partie de son mystère. Deux longues coques effilées de 27,40 m (90 pieds), une poutre interminable en carbone dépassant de plusieurs mètres à l’avant, deux bras de liaison, un à l’arrière et un autre plus important au centre pour accueillir un mât géant d’environ 50 mètres de hauteur. La largeur? Environ 22 à 23 mètres. On y va au pif, car on ne nous donne aucune dimension précise, aucune fiche technique qui pourrait être utilisée par «l’ennemi» américain. On ne nous montre pas non plus le mât qui se trouve sous une autre tente, mais on apprend qu’on peut entrer à l’intérieur, ce qui donne une idée de son diamètre.
Encore des inconnues
Impossible, vous l’avez compris, de percer tous les secrets de ce voilier en un coup d’œil. Rolf Vrolijk nous fournit cependant quelques pistes. «Ce qu’on peut gagner en vitesse au niveau des coques sera moins important au final que le gain produit grâce au développement du gréement et des voiles. En fait, poursuit l’architecte, il s’agit d’une évolution des multicoques du lac, notamment du 41 pieds. Alinghi s’en est donc tenu à une longueur de 90 pieds à la flottaison pleine charge pour les deux coques. Mais nous avons d’autres options pour l’allonger. On va beaucoup travailler sur le gréement, les dérives, la taille des voiles. Tout est encore très ouvert.»
Pas question de tout dévoiler maintenant. Le bateau ne sera mis à l’eau que mercredi prochain et doit encore être mâté dans le port provisoire installé au Bouveret. La rumeur avait fait état depuis quelques semaines d’un multicoque à deux mâts. Pour l’instant, Alinghi 5 naviguera avec un seul mât géant, mais Vrolijk n’exclut pas la possibilité de transformer la configuration du catamaran et de prévoir un mât sur chaque coque.
Comparaison pas possible
Le Britannique Pete Goss s’était lancé en 2000 dans une telle aventure avec son maxicatamaran
Team Philips conçu pour disputer The Race, course autour du monde en équipage. Après des essais pas toujours concluants avec des mâts pivotants de 40 m non haubanés,
Team Philips avait fini désintégré dans une tempête, emportant un beau concept qui avait souffert de défauts de jeunesse.
Alinghi aura aussi peu de temps pour mettre au point son bateau et optimiser ses performances. Le catamaran devra marcher aussi bien au près qu’au vent arrière. «La première régate du duel contre Oracle va se courir sur deux fois 20 milles nautiques. Il se peut qu’au bout de deux ou trois minutes, on connaisse déjà le vainqueur. Avec les maximulticoques, les différences de vitesse sont forcément énormes. On n’a malheureusement pas beaucoup de temps devant nous pour effectuer des tests et modifier fondamentalement le concept», reconnaît Vrolijk.
Alinghi va donc passer très vite du rêve à la réalité. «On verra si nos prédictions sont justes. Nous n’avons pas de comparaison possible avec un autre bateau du même type, car il n’existe pas!»
«Dessine-moi un multicoque»
Pour trouver l’indispensable équilibre des forces aéro et hydrodynamiques, les architectes et ingénieurs d’Alinghi ont investi des milliers d’heures de recherche dans les domaines les plus pointus de la technologie. Créer un bateau selon un concept précis est une chose, optimiser chaque élément en est une autre.
Et c’est là qu’interviennent les spécialistes du design team. Un bureau d’étude composé d’une vingtaine de personnes coordonné par Grant Simmer. «On a commencé à travailler sur le gréement et la coque, souligne Vrolijk. Ce n’est pas comme pour un bateau classique avec des règles de jauge fixes. On est parti d’une feuille blanche pour réaliser quelque chose de totalement nouveau.»
Un travail passionnant pour les designers qui peuvent étaler toutes leurs connaissances dans les secteurs les plus variés. «Je crois qu’on a opté pour un multicoque beaucoup plus innovant que celui de BMW-Oracle. Enfin, jusqu’à maintenant! Car il faut voir ce que les Américains vont nous montrer prochainement.»
Comme pour les deux précédentes éditions de la Coupe de l’America remportées par Alinghi sur des monocoques, l’EPFL à Lausanne a apporté là aussi sa précieuse contribution. «Lorsqu’on utilise des matériaux composites de haute technologie, la construction doit être d’une très grande précision afin de correspondre aux indications exactes des ingénieurs. La collaboration avec l’EPFL s’appuie sur une longue expérience en commun, notamment sur les tests de résistance et les épaisseurs de carbone», explique Vrolijk.
Pour Alain Gautier, consultant d’Alinghi et skipper du
D35 Foncia, le catamaran construit à Villeneuve possède d’énormes possibilités d’adaptation.
«Ce qui ne peut pas tellement bouger, c’est la largeur», dit le Français. «Ce multicoque n’a rien à voir avec les maxis conçus pour les records et le Jules-Verne (tour du monde), qui doivent être beaucoup plus fiables, plus légers et encore plus toilés. Il y a donc beaucoup plus de contraintes, car passer des semaines dans les mers du Sud ou naviguer entre trois bouées, c’est pas pareil!
Alinghi 5 n’est pas conçu pour la grande vitesse, dans 30 à 40 nœuds de vent. La limite pour ce bateau, c’est la hauteur de la vague», lance le vainqueur du Bol d’Or.
En chiffres
CATAMARAN ALINGHI 5*
LONGUEUR DES DEUX COQUES 27,40 m (90 pieds).
LARGEUR Environ 23 m.
HAUTEUR DU MÂT 48 m (poids: 1000 kg).
GRAND-VOILE Plus de 500 m2.
SOLENT Plus de 250 m2.
GENNAKER Plus de 700 m2.
POIDS De 18 à 20 tonnes.
COÛT Plus de 10 millions de francs.
NOMBRE D’ÉQUIPIERS À BORD Entre 18 et 23 marins.
ARCHITECTES Rolf Vrolijk et l’équipe du design team d’Alinghi (20 personnes).
CONSULTANTS Nigel Irens (GB), Benoît Cabaret (F) et Alain Gautier (F).
CHANTIER DE CONSTRUCTION Alinghi-Décision à Villeneuve.
MISE À L’EAU Mercredi 8 juillet à Villeneuve.
PORT D’ATTACHE PROVISOIRE Le Bouveret (VS).
MÂTAGE Entre le 8 et le 10 juillet.
PREMIERS TESTS SUR L’EAU Dès le 12 juillet.
* Les dimensions et les surfaces de voile sont approximatives, car aucune information précise ne nous a été fournie lors de notre visite au chantier Alinghi à Villeneuve.
Un monstre.................................