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Le combat héroïque des mères et des femmes courage
29. octobre 2011, 18h47
Jean-Claude Schertenleib | Le Matin Dimanche
Quand un pilote est arraché à la vie en pleine gloire, on fait immédiatement de lui un mythe. Et on oublie que, dans la plupart des cas, des femmes – maman, épouse, fiancée, sœur – sont désormais seules. Pour toujours.
Martina à g., la petite sœur de Marco Simoncelli, et Kate Fretti, la compagne du défunt, jeudi lors du service funèbre. © Marco Vasini/AP
On ne voit qu’elle, dans la petite église Santa Maria Assunta de Coriano, près de Cattolica (It). On la voit digne, les yeux certes marqués par la tristesse, mais le visage apaisé, empli de confiance. Elle embrasse les collègues de travail, de passion, de son fils. C’est elle, Rossella Simoncelli, qui a perdu quelques jours plus tôt son fils Marco, qui demande maintenant à Valentino Rossi, à Jorge Lorenzo, à Mattia Pasini et à d’autres de continuer. Une mère est allée chercher dans la douleur profonde du deuil des mots d’espoir.
On entend qu’elle, dans le temple presbytérien de St. Petersburg, en Floride: «Mon amour, tu étais un véritable cœur de lion. Jamais je n’oublierai les derniers moments que nous avons passés ensemble, juste avant que tu t’installes dans ta voiture. Je t’aime, Daniel Clive Wheldon. Merci pour avoir partagé avec moi ta vie et ton amour.» C’est le message d’une jeune veuve, Susie Wheldon, maman de Sebastian et Oliver, qui ont perdu leur papa à Las Vegas quelques jours plus tôt, tué dans une collision massive, alors qu’il avait décidé depuis plusieurs mois de ne plus être pilote à 100%. Dan Wheldon voulait profiter de cette plage de Floride, près de laquelle il s’était installé avec sa famille, loin des frimas londoniens. Avec des siens.
Un bouquet de roses blanches
On ne remarque qu’elle, sur la place de l’église de Coriano, debout devant un cercueil couleur argent recouvert d’un gigantesque bouquet de roses blanches. Kate, compagne de Marco Simoncelli, 24 ans, avec qui elle venait, trois semaines plus tôt, de découvrir les Philippines, le pays d’origine de sa maman. Elle tient par la main Martina, petite sœur de Marco, bouleversée. Elle commence par s’excuser, en avouant qu’elle est chrétienne, oui, mais qu’elle ne connaît pas toutes les règles de la religion d’ici. Elle a tenu, pourtant, la fiancée, la complice, à dire au revoir à son bien-aimé: «Il était une personne parfaite et je crois que les hommes parfaits ne peuvent pas vivre avec nous, communs des mortels.»
On n’écoute qu’elle, au cœur de la nef de cette église de Floride, devant d’immenses couronnes et ce casque, à la visière pour toujours fermée. Holly Wheldon, la plus jeune sœur de Dan, a voulu absoudre la course automobile: «Oui, nous sommes ici à cause de ce qui est survenu sur un circuit. Mais mon frère était né pour courir. Dan sans la course, c’était comme une tasse de thé sans un nuage de lait. Et Dan adorait son thé.»
Deux drames
En moins de dix jours, les sports mécaniques, disciplines où le machisme est encore triomphant – même si, notamment aux Etats-Unis, des femmes pilotes brillent en course – ont fait deux victimes. Deux sportifs que l’on s’est empressé d’idéaliser, parce que la mort efface les rancunes. Parce que, dans la mort, on se rassemble, par besoin d’être plus forts. En Grande-Bretagne, où Dan Wheldon est né; aux Etats-Unis, où il est devenu une star (double vainqueur des fameux 500 Miles d’Indianapolis, la dernière fois l’ultime dimanche de mai dernier), des gens se sont réunis, des gosses ont dessiné, des grands ont pleuré. En Italie, où Marco Simoncelli était l’étoile en devenir, le successeur désigné de Valentino Rossi dans le cœur des tifosi, la commotion est totale, touchant la présidence de la République comme le plus modeste des citoyens. Partout dans le monde, la famille des sports motorisés rend hommage aux disparus; même si on ne les a pas connus personnellement, on colle ici un numéro 58 (celui de Simoncelli) sur son casque ou sur son cœur; on appose là deux lettres «DW», les initiales de Dan Wheldon. C’est ainsi parce qu’à chaque drame, tout à coup, la vérité apparaît dans ce qu’elle a de plus terrible: oui, notre métier est fantastique, excitant, unique; mais, oui aussi, tout peut s’arrêter à chaque seconde. A la moindre petite erreur, quand ce n’est pas juste à cause de la fatalité. Quand on est pilote, on veut oublier la mort, mais, lorsqu’elle survient, elle cause des ravages profonds dans les esprits.
La compagne de Lüthi parle
Compagne depuis plusieurs années de Thomas Lüthi, Fabienne Kropf est à ses côtés depuis son retour de Malaisie. Comme tous ses collègues, le pilote suisse est revenu totalement abattu de Kuala Lumpur, déchiré en plus par deux sentiments totalement opposés: moins d’une heure avant la mort de Marco Simoncelli, l’un de ses anciens adversaires en 125, puis en 250 cm3, il venait de remporter son premier Grand Prix dans la catégorie intermédiaire (Moto2), mettant ainsi fin à une période de disette de cinq ans. La joie était alors à son comble, elle allait bientôt se noyer dans les larmes: «C’est un sport à risques, il ne faut jamais l’oublier. Et je crois qu’il ne faut pas se voiler la face: c’est parce qu’il y a ces risques qu’il est aussi excitant, fascinant, magique», confie Fabienne Kropf. La mort, fascinante? «Ce dimanche, on s’est soudainement rappelé qu’une chute pouvait se terminer de la plus tragique des façons. Après, c’est une question de choix de vie, de confiance: Tom ne tombe pas beaucoup par rapport à de nombreux de ses collègues, c’est sa passion, il vit pour cela; comme je l’aime, je dois le soutenir.»
Seul, à la montagne
Les activités professionnelles de Fabienne Kropf, top model, l’empêchent de suivre toutes les courses depuis les circuits. Elle n’était ainsi ni au Japon ni en Australie, encore moins en Malaisie: «C’est plus facile d’être sur place, parce que je vois Tom en permanence, pendant tout le week-end, je vois ses mécaniciens, je sais que chaque geste est calculé, que le travail est bien fait. Quand notre histoire est devenue sérieuse, il m’a fait une promesse: «Tu sais, Fabienne, je roule toujours à la limite, mais jamais au-delà.» Et je le crois.»
Mères aimantes, fiancées ou épouses amoureuses, petites sœurs pleines de fierté, elles sont les femmes courage de la course. Omniprésentes dans les bons et les pires des moments: «La période pour faire le deuil est très courte, puisque l’ultime course de la saison 2011 est déjà programmée dimanche prochain; Thomas a besoin d’un peu de temps, pour digérer l’émotion. Il réfléchit beaucoup, bien sûr», reprend son amie. Pour tenter de trouver le calme, Lüthi est parti à la montagne, dans le silence. Vendredi prochain, comme presque tous les autres, il reprendra le guidon. Parce que le show, dit-on, «must go on». Il doit se poursuivre.
Il y aura une course après la mort
AVENIR
Si l’accident qui a coûté la vie à Dan Wheldon a eu pour cadre la finale du championnat Indycar, sur l’anneau de vitesse de Las Vegas (EU), le drame de Marco Simoncelli est survenu lors de l’avant-dernière manche du championnat du monde des courses sur route motocyclistes. Le week-end prochain, deux titres mondiaux – en 125 cm3, entre l’Espagnol Nicolas Teról et le Français Johann Zarco; en Moto2, entre l’Allemand Stefan Bradl et l’Espagnol Marc Marquez – doivent encore être attribués sur le circuit de Cheste, près de Valence (Esp).
Quid de la course MotoGP? Dès le lendemain du drame de Sepang, les bruits les plus fous ont circulé, évoquant même une éventuelle annulation de l’épreuve. Ce matin, la situation est la suivante:
1. Le stand de Marco Simoncelli, dans lequel figurera sa moto de réserve, sera installé, pour que l’infortuné pilote italien participe à cette ultime course de la saison.
2. On ne sait en revanche pas encore si l’équipier de Simoncelli, le Japonais Hiroshi Aoyama, prendra ou pas le départ.
3. Blessé dans l’accident du deuxième tour du GP de Malaisie, le Texan Colin Edwards est reparti aux Etats-Unis pour se faire soigner de plusieurs microfractures de son bras gauche. Il sera donc forfait à Valence et le team Tech 3 qui l’emploie n’a pas encore décidé si, oui ou non, il confiera sa Yamaha à un pilote remplaçant.
4. Point d’interrogation, aussi, sur la présence de Jorge Lorenzo. Blessé lors du warm-up du GP d’Australie – annulaire de la main gauche arraché –, le champion du monde 2010 n’est pas sûr de pouvoir tenir sa place.
Pour le reste, des décisions seront prises au fil des jours et on se demande notamment quelle sera la réaction de Loris Capirossi, un des proches de Marco Simoncelli, qui doit disputer dimanche prochain l’ultime course d’une carrière en GP entamée par un titre mondial en 1990.