VOILE
Le sanctuaire de Bernard Stamm
Image © Jean-Guy Python
A chaque changement de bord, il faut déplacer des centaines de kilos de voile. Bernard Stamm rit en disant y consacrer «90% de son temps»
Le Suisse tentera pour la première fois d’apprivoiser la mythique épreuve entre Bretagne et Guadeloupe à bord de «Cheminées-Poujoulat»
Thomas Dayer - le 30 octobre 2010, 21h38
Le Matin Dimanche
Dans le plus grand secret, le 60 pieds qui l’emmènera sur les couloirs du Vendée Globe en 2012 grandit. «La construction avance comme prévu», confie Bernard Stamm. Le marin de Saint-Prex navigue sur plusieurs fronts, entre la terre – pour la conception du monstre sacré – et l’eau.
Ainsi le Vaudois s’élance-t-il aujourd’hui, sur le coup de 13h02 très précisément, sur la Route du Rhum. De la Bretagne à la Guadeloupe (la ligne d’arrivée est tirée à Pointe-à-Pitre), il devra apprivoiser ciel et mer.
Tandis que les plus rapides Ultimes sont attendus aux Antilles dans une grosse semaine, Bernard Stamm, sur son Class 40 lui, présume qu’il lui faudra dix-huit jours pour engloutir l’Atlantique. «J’ai de la bouffe pour vingt jours, mais il y a beaucoup trop», se marre-t-il en ouvrant les portes de ce qui sera son sanctuaire pour les deux ou trois semaines à venir. Un 40 pieds, c’est petit, tout petit. Détails d’une vie solitaire sur quelques mètres carrés.
La barre
A l’arrière se trouve la barre télescopique qui permet à Bernard Stamm de manœuvrer les safrans. C’est de là qu’il guide le bateau. Mais le marin peut également s’en remettre à son pilote automatique quand le système météo est installé ou qu’il doit vaquer à d’autres occupations (routage, matossage, repas, repos).
Les winches
Au centre du cockpit, juste derrière la sortie de la cabine, se trouve le winch principal qui permet à Bernard Stamm de border, de régler et de hisser ses voiles.
La table à cartes
Bernard Stamm appuie sur quelques boutons au sommet du tableau. Il allume le PC (écran, clavier, souris classiques) et voilà que s’affichent des cartes marines. C’est à cet endroit que le marin consulte les modèles météorologiques et en tire ses propres conclusions stratégiques (les participants des catégories Imoca et Class 40 n’ont pas le droit de recourir à un routeur externe). C’est également de là qu’il communique par téléphone satellite avec la terre.
La bannette
Bernard Stamm décroche un mousqueton et descend une des bannettes qui lui permettront de se reposer. «En fonction de la course, il faut que je m’étale à des endroits différents pour une question de poids, sourit-il. Je peux dormir partout, dehors aussi.»
Le sommeil n’a presque plus de secret pour lui. «On a une bonne idée de la façon dont ça fonctionne, explique le Vaudois. On essaie de zapper toutes les phases d’endormissement et de réveil. Et puis c’est la course qui coche une case dans notre subconscient pour nous dire que si on dort longtemps, on est derrière.» La préparation sert donc à déterminer les moments où le marin est le plus apte à dormir profondément. «Entre ces moments-là, je n’essaie même pas de fermer l’œil, c’est peine perdue. Mais le peu que je dors, je dors bien, parfaitement même: je me répare.»
Le sachet à nourriture
Le marin n’est pas différent de l’homme, il essaie de soigner son rythme biologique «qui est similaire pour tout le monde». «Mais dans une course, c’est compliqué, ajoute-t-il, parce qu’on continue à dépenser énormément d’énergie la nuit.»
Reste que la cadence de mer est comparable à la cadence de terre. «Disons qu’il y a le petit-déjeuner, le repas de midi, le repas du soir et il faut ajouter le repas de minuit, raconte Bernard Stamm. Et puis, après, on mange plus de petites choses entre les repas parce qu’il faut combler les dépenses énergétiques.»
D’un sac, le navigateur extirpe un sachet. Sur une étiquette est écrit «Mercredi 3 novembre»: «Tout ce que je mangerai ce jour-là est là-dedans.» Dans ses menus lyophilisés, il y a par exemple des pâtes à la bolognaise, mais on trouve aussi des fioles de produits laitiers, de la viande séchée, du fromage, des amandes.
«Il y a assez pour une journée dans un sachet, mais c’est concentré. A terre, les gens n’ont plus l’occasion de dépenser tout ce qu’ils mangent. (Sourire.) Dans la société moderne, on mange trop, c’est comme ça. De notre côté, en mer, on doit absolument emmagasiner la quantité de calories pour assumer la dépense énergétique.»
Le matossage
A l’avant, à l’intérieur, sont entreposées les voiles. C’est là que Bernard Stamm se livre au «matossage», soit le déplacement du matériel pour maintenir le voilier en position idéale (pour éviter les mouvements superflus et conserver ou augmenter la puissance). A chaque changement de bord, ce sont des centaines de kilos de voiles qu’il s’agit de transporter d’un côté à l’autre. «C’est un endroit superimportant du bateau, lâche le marin. Je dirais que j’y passe les 90% du temps.»