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Re : Vous lisez quoi, là en ce moment ?? -
21/02/2012, 21h29
Bien entendu que je connais cette histoire !!!!! Son bouquin a assez fait de bruit par Payerne quand il est sorti.....
Payerne, Chessex et le Juif mort
Jacques Chessex a écrit un roman sur l'affaire du crime antisémite de 1942. Il avait 8 ans, à Payerne, lorsque Arthur Bloch a été tué et dépecé.
L'Hebdo; 2009-01-08
Payerne, Chessex et le Juif mort ISABELLE FALCONNIER
Jacques Chessex a écrit un roman sur l'affaire du crime antisémite de 1942. Il avait 8 ans, à Payerne, lorsque Arthur Bloch a été tué et dépecé.
Au matin du 16 avril 1942, à Payerne dans le Nord vaudois, un paysan de 19 ans, Robert Marmier, aborde Arthur Bloch, 60 ans, marchand de bétail, juif et bernois, sur la place de la Foire. Il lui propose une vache à vendre. Mais elle est quelques rues en contrebas, Rue-à-Thomas. Arthur Bloch a déjà acheté trois bÅ“ufs, mais il est curieux. Il suit Robert, à qui un apprenti garagiste, Georges Ballotte, ainsi qu'un valet de ferme, Fritz Joss, emboîtent le pas. Dans letable Rue-à-Thomas, il y a deux vaches. L'une plaît au marchand. Il commence à négocier, s'éloigne, revient. A son troisième retour dans l'éta-ble, Fritz Joss soulève la barre de fer qu'il tient dans la main droite et assomme Arthur Bloch, qui s'écroule. Ballotte l'achève d'un coup de revolver dans le crâne. Fer-nand Ischi, garagiste à Payerne, les rejoint avec Max Marmier, frère de Robert. Ils se partagent l'argent trouvé sur le marchand, puis scient et découpent le cadavre. Ils entassent la tête, le tronc, les bras, jambes, mains et pieds dans des boilles. Les transportent vers le lac de Neuchâtel, au large de Chevroux. Brûlent les vêtements dans la forêt de Neyrvaux. Rentrent chez eux. Jacques Chessex a 8 ans, en 1942. Son père dirige le collège de Payerne, bourg cossu de 5000 habitants. Jacques habite route de Corcelles. Il est dans la même classe que la fille de Fernand Ischi et le fils du juge Marcel Caprez, qui jugera les assassins en février 1943. Georges Ballotte est un élève de Pierre Chessex. Ischi, garagiste, a fait passer son permis de conduire au père de Jacques. Les frères Marmier sont connus de tous. Arthur Bloch est une figure familière et respectée du marché au bétail. Depuis soixante-sept ans, Jacques Chessex porte ce crime en lui. En 1967, dans le recueil Reste avec nous, il écrit Un crime en 1942, première incursion romanesque dans l'horreur de ce crime. Cette semaine paraît Un Juif pour l'exemple chez Grasset, son roman de ce qu'on appelle désormais le crime de Payerne, 106 pages exceptionnellement denses, concises, personnelles et ramassées. «Le livre était prêt. Tout était dans ma tête, les lieux, les personnages, les odeurs, les bruits, les paysages. Il m'a fallu attendre le calme, le sérieux vibratile que j'ai atteints.»
Contexte nazi. Tout y est: le contexte nazi et antisémite, l'importance qu'a jouée l'affaire dans la vie de Jacques Chessex, le rôle de Payerne, l'horreur totale du crime. En 1942, la crise est passée à Payerne: 500 des 5000 habitants du bourg sont chômeurs. La crise des années 30 «dure et tue». Les cafés sont pleins de râleurs, on cherche des coupables - les gros, les nantis, les francs-maçons, les Juifs. Au milieu de la guerre, le marché de Payerne regorge d'oeufs et de lard, mais, au kiosque, les gamins dépensent leur argent de poche pour acheter les revues de propagande nazies. Fernand Ischi, le garagiste, avec une vingtaine de Payer-nois, a prêté serment au parti nazi autant qu'au Mouvement national suisse. Leurs idéologues sont le leader d'extrême droite genevois, Georges Oltramare, et le pasteur Philippe Lugrin, privé de paroisse mais payé par la Légation d'Allemagne. Au menu: la victoire de lAllemagne nazie et l'extermination des Juifs de Suisse. Ils sont fascinés par Hitler, collectionnent les images des Jeux olympiques de 1936, tiennent des meetings au Café Winkelried à Payerne. Ischi fait de la gymnastique et se plaît à dire qu'il a la même taille que Hitler. Parfois, il emmène Georges Ballotte sur son vélomoteur et ils tirent sur les maisons des Juifs, comme celle de la famille Bladt, qui possède les Galeries vaudoises à Payerne, amie et voisine des Chessex.
Quand cela arrive, on rit au nez des plaignants. «La population radicale et protestante de Payerne était plutôt attentiste, elle regardait tourner le vent. Ils sont fous, mais s'ils avaient raison, on se disait... » Au procès, Ischi déclarera qu'il allait devenir préfet de la province du nord, que les nazis allaient bientôt régner en maîtres, et eux aussi.
Fernand Ischi et les quatre comparses qu'il a entraînés dans l'horreur seront arrêtés quelques jours après le meurtre. Pendant deux jours, Myria Bloch, l'épouse, et ses deux filles, Liliane et Eveline, espèrent que ce n'est qu'une histoire de maîtresse. Las. Myria mourra de chagrin et de folie cinq ans plus tard, ayant fait inscrire sur la tombe de son mari, au cimetière israélite de Berne, «Gott weiss Warum». Dieu sait pourquoi. Dieu seul sait pourquoi. Contre l'avis du rabbin: entre les mots ambigus de cette épitaphe tremble une révolte, un cri de rage désespéré.
«Une partie de ma vie a été décidée par cela, explique Jacques Chessex. Cette affaire m'a donné la préoccupation de la cause juive. J'ai été fasciné par les peintures de Zoran Music, par les récits des camps. Sommes-nous responsables? Y a-t-il une responsabilité collective aux camps? Au crime contre Arthur Bloch? Cette immolation du bouc émissaire, en 1942, a éveillé tout cela en moi. Petit garçon j'étais doté d'antennes sensibles aux non-dits. Est née aussi une profonde préoccupation à l'égard du mal. On voyait tous que Bloch était un homme bon. C'était un soldat, il aimait les animaux, c'était un bon père. C'était un Bernois, un Suisse. Au-delà du problème juif même, qui m'a toujours ému, j'ai ainsi développé une hyperconscience de l'injustice, de la menace qui rôde dans une ville riante. On peut découper un homme en morceaux à 500 mètres de l'abbatiale de Payerne. Le mal peut surgir n'importe où. C'est très impressionnant, de se rendre compte de cela en tant qu'enfant. D'autant plus que c'était la guerre: je voyais mon père repartir aux frontières. J'étais sûr que je ne le reverrais plus. J'ai passé mon enfance à pleurer la mort de mon père.»
Payerne, Chessex y est attiré « comme par un aimant. C'est aussi à Payerne, dans ces années 40, que sont nées les premières rumeurs autour de mon père et des femmes. Il a imposé ses premiers chagrins à ma mère. Je ne pardonne tien.» L'économie du ciel se passe à Payerne, on y voit la figure de son père être impliquée dans la mort mystérieuse d'une femme tchèque... «Parler de Payerne, c'est toucher à un nÅ“ud aigu. Mais j'aime ce bourg. Il y règne une lumière, une beauté médiévale et XIXe siècle très séduisantes. La place de l'Abbatiale est magique. Les boutiques sont belles, la gourmandise de bon aloi. J'y suis attaché.» Il sait bien que Payerne va lui en vouloir de revenir sur cette affaire. «C'est gênant d'avoir des grands-parents ou des parents qui n'ont pas réagi, lorsque cela s'est passé. Payerne a droit à l'oubli, mais aussi le devoir d'en parler: la ville a l'occasion d'exorciser une fois pour toutes. De grandir. De dire: «Nous ne sommes pas responsables mais un consensus l'a permis.» Payerne a mis une chape de plomb pardessus cette affaire. Et il est normal pour un écrivain né à Payeme d'en parler. Je ne cherche pas le scandale. Je suis prêt à aller parler avec les Payernois. C'est une histoire terriblement actuelle: le bouc émissaire aujourd'hui peut être l'eboueur sénégalais, le demandeur d'asile.» Ecrivain humaniste, Chessex? «Non, je suis un écrivain qui dit ce qu'il a à dire depuis l'âge de 8 ans. Ce n'est pas un livre engagé, mais un livre vrai. Pas une entreprise d'esthète, mais quelque chose d'élémentaire, d'organique.»
Prison à vie. Le 20 février 1943, Fernand Ischi, Robert Marmier et Fritz Joss sont condamnés à la prison à vie par le Tribunal de Payerne. Vingt ans pour Georges Ballotte, quinze pour Max Marmier. Le pasteur Lugrin sera arrêté en Allemagne en 1945, condamné à vingt ans à Bochuz. Avec le jeu des remises de peine, ils en purgeront à peine les deux tiers. En 1964, Chessex croise Lugrin à une table du Café du Vieux-Lausanne. Il s'assied en face de lui. «Je le referais!» lance Lugrin, rageur. Dans les années 70, Chessex croise Fernand Ischi, misérable pompiste à la station-service de son frère, place de l'Ours à Lausanne. Celui-ci le reconnaît, lui lance: «Il n'y a pas de benzine ici!»
Longtemps après, l'écrivain qui était un enfant lorsque c'est arrivé se réveille en pleine nuit, rêvant comme avant qu'il demande à ses parents où est l'homme coupé en morceaux, s'il va revenir. Mais Arthur Bloch erre pour l'éternité.
Un Juif pour l'exemple. De Jacques Chessex. Grasset, 106 p.
ARTHUR BLOCH
Assassiné en avril 1942 à l'âge de 60 ans.
RUE-À-THOMAS
Le rural desfrères Marmier, à Payerne, dans lequel a eu lieu le crime, aujourd'hui détruit.
BOILLE
Les restes de la victime, découpés, ont été placés dans cette boille et quatre autres au fond du lacde Neuchâtel.
PAYERNE, ANNÉES 30
La place de la Foire et son marché aux bestiaux, durant lequel Bloch a été«repéré».
FERNAND ISCHI
Le garagiste de Payerne se prenait pour le gouleiter de la région. Ses complices et exécutants Georges Vallotton (Ballotte dans le roman), Fritz Joss, Robert et Max Marmier lorsde leur arrestation après le meurtre.
«CETTE AFFAIRE M'A DONNÉ LA PRÉOCCUPATION DE LA CAUSE JUIVE.»
Jacques Chessex
POUR CHARLES LEWINSKY, CHESSEX MONTRE «À QUEL POINT LE MAL PEUT ÊTRE BANAL». «Nous avons tellement entendu parler, ces dernières décennies, des atrocités commises en Europe sous le règne des nazis. Tellement lu de témoignages sur l'organisation bureaucratique de leurs sadiques excès. Tellement vu d'images qui nous poursuivent dans nos rêves. Et nous n'avons pas compris. Pas vraiment. En tout cas pas de cette compréhension qui dépasse l'entendement. Bien sûr, Hannah Arendt évoque la banalité du mal et, pourtant, nous n'avons jamais vraiment pu croire que les gens qui avaient commis ces infamies étaient des humains tout à fait ordinaires. De braves citoyens. Des contribuables ponctuels. Ça n'entrait pas dans notre tête. Et voilà qu'arrive un Jacques Chessex qui dépeint un cas tout à fait ordinaire, en toute objectivité. Avec un regard presque affectueux pour le détail ordinaire. Il raconte un meurtre ordinaire, commis à une époque où des millions d'humains furent assassinés. Seul élément qui marque une différence par rapport aux milliers d'histoires horribles que l'on connaît sans arriver à saisir: ce meurtre-là n'a pas été commis en Allemagne. Pas en Europe de l'Est, alors occupée. Pas à Auschwitz, mais à Payerne. Chez nous, ici en Suisse, où tout - c'est ce que nous avons toujours cru - est différent d'ailleurs. Différent et meilleur. Et, tout à coup, comme il s'agit de notre propre pays, nous commençons à comprendre ce que Hannah Arendt a bien pu vouloir dire. Nous pouvons ressentir à quel point le mal peut être banal et la banalité peut être mauvaise. Nous lisons ce témoignage et nous sommes tout autrement concernés que lorsqu'il s'agit d'une histoire qui se passe au-delà de nos frontières. Cela parle de nous et, pour cette raison, cela nous affecte. Je crois que de nombreux lecteurs, dans notre pays, le ressentiront ainsi. Et pas seulement s'ils retrouvent - tout comme moi - le nom de la victime dans l'arbre généalogique de leur propre famille.»
CHARLES LEWINSKY, AUTEUR DE MELNITZ
POUR JACQUES PILET, «CHESSEX REMUE. ON LUI EN SAIT GRÉ.» «Enfin. Jacques Chessex dit enfin cette histoire qui le poursuit depuis son enfance. Dans un texte aigu, sans digressions, il se souvient de ce «fait divers», comme on dit, qui était bien plus que cela.
Lorsqu'en 1977, avec Yvan Dalain, enfant d'Avenches et fils de marchand de bétail juif, nous fîmes pour Temps présent un film sur cet épisode noir, l'écrivain accepta de parler, d'évoquer le climat de Payerne à cette époque, le profil des acteurs. Pourtant, nous nous heurtions à bien des refus, à bien des silences. «Il ne faut pas remuer ça», disait-on. Chessex, lui, remue. On lui en sait gré dans ce temps où la mémoire s'efface vite.
Il déroule les faits à sa manière, mais ne s'étend pas sur ce qui nous avait le plus frappé lors de cette enquête journalistique: la passivité, l'opportunisme de cette population payernoise qui voyait les nazillons s'agiter sans trop s'en alarmer. «On se disait qu'il valait mieux être prudent, l'issue de la guerre était incertaine, ces gens auraient pu arriver au pouvoir...», nous confiait alors un brave commerçant de la place. Fascinante transposition d'une réalité historique.
Les mots aiguisent son horreur et l'émoussent à la fois. Quand le «chef» donna l'ordre de tuer au misérable exécutant - qui s'était confié à notre micro! - il ne lui dit pas, comme écrit Chessex, «Assomme-le!» mais «Fous-y!».
Détail de vocabulaire. Simple glissement du sordide populaire au tragique littéraire.
Il y a tant de livres dont on peut se passer. Celui-là, nous l'attendions. Pour parfaire l'univers d'un grand écrivain, pour la mémoire des Vaudois, pour sonder un cauchemar pas aussi anachronique qu'il n'y paraît.»
JACQUES PILET, ÉDITORIALISTE
«LE BOUC ÉMISSAIRE AUJOURD'HUI PEUT ÊTRE L'ÉBOUEUR SÉNÉGALAIS, LE DEMANDEUR D'ASILE.»
Jacques Chessex
REPÈRES 16 avril 1942 Assassinat d'Arthur Bloch à Payerne.
24 avril Arrestation de Fernand Ischi et de ses complices.
Février 1943 Procès des accusés. Condamnation à vie de lschi et des deux autres complices.
1945 Arrestation du pasteur Philippe Lugrin.
1967 Reste avec nous de Jacques Chessex aux Cahiers de la Renaissance vaudoise.
1977 Le crime nazi de Payerne. Enquète de Jacques Pilet, Ed. Pierre M. Favre. Le crime oublié de Payerne réalisé par Jacques Pilet et Yvan Dalain pour l'émission Temps présent de la TSR.
POUR RUTH DREIFUSS, «L'OBSESSION DU MAL HANTERA TOUJOURS JACQUES CHESSEX.» «Dans un de ses premiers textes en prose (Reste avec nous et autres récits, première édition 1967, réédité par Bernard Cam-piche en 1995), Jacques Chessex évoque le Payerne de son enfance. Il dit y ressentir encore, vingt-cinq ans après les faits, le meurtre d'Arthur Bloch, «comme une effrayante malédiction».
Sur les doux paysages de la Broye, sur les places, les maisons, les bistrots de la ville, «il y aura le crime comme une fumée ou comme une patine sur les choses. Qui la verra?» Cette obsession du mal, du basculement de la banalité à l'horreur, du silence complice hantera Jacques Chessex toute sa vie. Il vient encore aujourd'hui, en vieil homme, revisiter le crime de Payerne. Pour «sonder des circonstances qui n'ont cessé d'empoisonner ma mémoire et de m'entretenir, depuis tout ce temps, dans un déraisonnable sentiment de faute», écrit-il dans ce dernier Un juif pour l'exemple.
Le sentiment de culpabilité est en effet déraisonnable; mais l'interrogation sur les ressorts psychologiques et sociaux qui mènent à la barbarie est, quant à elle, nécessaire. Et s'il est presque impossible de les comprendre, la mémoire de ces enchaînements peut au moins renforcer nos défenses d'humanité.
«Auschwitz n'est pas en Suisse!» Cette déclaration d'un conseiller fédéral, il y a une dizaine d'années, se voulait absolution. L'écrivain nous rappelle que, pour un peu, Auschwitz aurait pu être en Suisse. Pour les meurtriers d'Arthur Bloch, le Juif, déjà, n'était plus un être humain. Pour Jacques Chessex, c'est bien cela, le péché originel.»
RUTH DREIFUSS, ANCIENNE CONSEILLÈRE FÉDÉRALE
C'est beau de vieillir en aimant, mais si horrible de mourir sans le dire.....
Aimer c'est comme contempler un paysage et de se dire que dans l'infini
il/elle nous attend...
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